Pourquoi Nathan C. a-t-il poignardé des passants vendredi dans un parc près de Paris ? Après l’attaque de Villejuif, le profil et la radicalisation de ce jeune converti à l’islam, ancien étudiant brillant atteint de troubles psychiatriques, sont au coeur de l’enquête antiterroriste.
Villejuif, Metz, mosquée de Bayonne, préfecture de police de Paris : où situer la frontière entre l’acte terroriste prémédité et le coup de folie ?
Pour la justice, qualifier les attaques commises par des personnes radicalisées s’avère complexe quand s’entremêlent troubles mentaux et motivations idéologiques, conduisant à des décisions parfois controversées.
« Du passage à l’acte terroriste à la folie, il y a des passerelles »
Vendredi à Villejuif (Val-de-Marne) : un homme de 22 ans souffrant de problèmes psychiatriques poignarde des passants aux cris d’ »Allah Akbar ! », tuant un passant et blessant deux femmes. Après 24 heures de réflexion, le parquet national antiterroriste (Pnat) se saisit de l’affaire.
Dimanche après-midi à Metz : un homme fiché pour radicalisation islamiste, connu pour des troubles psychiques, menace avec un couteau des policiers qui lui tirent alors dessus. Lundi soir, la justice antiterroriste s’interrogeait sur l’opportunité de se saisir ou non. Ce mardi, le procureur de la République de Metz Christian Mercuri a précisé que « le parquet national antiterroriste n’entendait pas se saisir de l’affaire ».
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En octobre, après l’attaque d’une mosquée à Bayonne par un militant d’extrême-droite, elle avait laissé l’affaire au parquet local.
Pourquoi cette différence de traitement ? En théorie, « les critères » justifiant la qualification terroriste « sont relativement clairs », souligne Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT). Selon l’article 421–1 du code pénal, il faut que les infractions soient commises « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Cela implique d’une part une préméditation, c’est-à-dire une préparation du passage à l’acte, et d’autre part son rattachement à un mouvement politique ou idéologique, par le biais par exemple d’une revendication – ce qu’a fait l’assaillant de Villejuif.
Mais en pratique, tracer la frontière entre un acte terroriste et un crime de droit commun peut s’avérer ardu, a fortiori quand le responsable de l’attaque souffre de troubles mentaux et agit de façon solitaire, un cas qui se répète ces dernières années.
« Dans une zone grise »
« Des individus mus à la fois par des motivations idéologiques et psychiatriques »
Contrairement aux attentats de masse de 2015–2016, « la difficulté, c’est qu’on est aujourd’hui dans une zone grise, avec des individus mus à la fois par des motivations idéologiques et psychiatriques », analyse Jean-Charles Brisard.
Les appels du groupe jihadiste Daesh, bien qu’affaibli, trouvent encore un écho chez des personnes fanatisées ou déséquilibrées. « Sans idéologie, peut-être qu’il n’y aurait pas de passage à l’acte », relève un enquêteur.
La saisine de la justice antiterroriste n’est toutefois pas systématique. A l’été 2018, elle ne s’était pas saisie d’une attaque mortelle au couteau à Trappes (Yvelines), revendiquée par Daesh : l’homme, atteint de troubles psychiatriques, s’en était pris à sa propre famille puis à une passante.
Dans le cas de la mosquée de Bayonne, le Pnat avait mis en avant « l’état de grande confusion » du suspect Claude Sinké, âgé de 84 ans, qui avait blessé par balles deux personnes. Cela ne permet « pas de caractériser l’existence d’une intention terroriste », avait-il expliqué. Cette décision avait alimenté des reproches contre la justice, accusée d’opérer un « deux poids deux mesures » entre le terrorisme islamiste et celui d’ultradroite. Quatre enquêtes concernant des menaces de tels groupes sont toutefois en cours au pôle antiterroriste, impliquant également des suspects au profil psychologique fragile.
« L’état de faiblesse psychique favorise le passage à l’acte »
Pour Antoine Mégie, maître de conférences en science politique à l’université de Rouen, qui suit de près les procès terroristes, « le terme même de terrorisme est flou et évolue en fonction des époques et des contextes ». « Il y a d’un côté le droit et de l’autre la politique pénale », orientée par l’exécutif, note-t-il, citant l’élargissement progressif de la qualification terroriste aux femmes parties en Syrie.
Autre cas limite, celui de l’attaque contre la préfecture de police par Mickael Harpon, qui a coûté la vie à quatre policiers le 3 octobre. L’enquête, qui semblait s’orienter vers la piste d’un coup de folie, a été reprise par le Pnat. Mais trois mois plus tard, les motivations du tueur restent incertaines: son épouse a raconté qu’il avait « entendu des voix » la nuit précédent l’attaque, alors qu’aucun contact avec des jihadistes ni allégeance n’ont été retrouvés.
« Du passage à l’acte terroriste à la folie, il y a des passerelles », a reconnu lundi sur Europe 1 Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid, pour qui « l’état de faiblesse psychique dans un milieu ambiant de violence » favorise le « passage à l’acte ».
En juin 2017, le Service central du renseignement territorial (SCRT) évaluait à 13% le nombre d’individus suivis pour radicalisation et souffrant de « pathologies psychiatriques médicalement constatées ou notoires ».
Lien :https://www.sudouest.fr/2020/01/07/terrorisme-et-psychiatrie-pour-la-justice-des-zones-grises-difficiles-a-apprehender-7030281-6093.php