Roj, le camp où l’enfance paye pour les crimes des parents

Oct 30, 2025 | Les rapports

Sous un soleil brûlant, derrière les barbelés du nord-est syrien, des centaines d’enfants grandissent loin de tout avenir.

À Roj, camp contrôlé par les Forces démocratiques syriennes, plus de deux mille femmes et enfants liés à l’État islamique survivent dans l’attente — oubliés de leurs pays d’origine, et piégés entre la guerre, la politique et la mémoire du califat.

Le camp de Roj s’étend au cœur de la plaine aride du nord-est syrien, non loin de la frontière turco-irakienne. Sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes, il abrite environ 2 100 femmes et enfants liés à l’organisation État islamique (EI).

Malgré l’accord signé le 10 mars 2025 entre le président syrien par intérim, Ahmed Al-Charaa, et le commandant des FDS, Mazloum Abdi, censé amorcer une réintégration progressive de la région dans l’État syrien, rien de concret n’a encore vu le jour.

« Rien n’a bougé », constate Javré, 30 ans, responsable kurde de la sécurité du camp, qui redoute que l’administration ne soit reprise par d’anciens membres de Daech ou par des groupes affiliés à Al-Qaïda.

Attente interminable et fuites désespérées

Parmi les détenues, 110 familles françaises — composées en majorité d’enfants — vivent toujours à Roj. Les dernières à avoir quitté le camp, trois femmes et dix enfants, ont été rapatriées le 16 septembre.

Certaines prisonnières espèrent que le retour du contrôle de Damas facilitera leur fuite : plusieurs ont déjà tenté de rejoindre les zones tenues par Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), désormais allié du gouvernement intérimaire syrien.

Refus du retour et illusions de liberté

Fatima (nom d’emprunt), 50 ans, refuse catégoriquement de rentrer en France : « Ma liberté, je la veux ici, en Syrie », affirme-t-elle.

Elle dit être informée du transfert de 47 Français vers l’Irak pour y être jugés, sans que cela ne l’affecte.

À l’inverse, Amira (nom d’emprunt), 29 ans, redoute d’être séparée de ses enfants si elle était rapatriée : « Ce n’est pas moi qui ai choisi Daech, ce sont mes parents », confie-t-elle. Veuve depuis la mort de son mari à Baghouz en 2019, elle enseigne aujourd’hui elle-même à ses enfants, qu’elle juge délaissés par l’école du camp.

Elle assure avoir renié les idées de l’EI, « trop radicales, trop cruelles », et rêve de recommencer une vie normale, ailleurs.

Une jeunesse sans avenir

L’avocate Marie Dosé, qui représente plusieurs familles françaises, dénonce l’inaction des autorités : deux sœurs de 18 et 20 ans réclament leur rapatriement depuis des mois, sans réponse.

« Ces jeunes subissent la double peine : celle d’être nés de parents djihadistes et celle d’être abandonnés par leur pays », déplore-t-elle, rappelant que la France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour ces manquements.

Dans le camp, une cinquantaine de jeunes hommes devenus majeurs restent enfermés, faute de structures de déradicalisation adaptées.

Des cas de violences sexuelles ont été signalés, mais rarement poursuivis.

Hokmiya Ibrahim, coprésidente du camp, alerte : « Le plus grand danger vient de cette génération qui grandit dans la colère et sans horizon. »

Un avenir à reconstruire

Au camp de Roj, le temps semble figé. Entre les illusions de liberté, la peur du retour et l’oubli des États, les femmes et les enfants vivent dans un entre-deux sans issue.

Derrière les clôtures de ce désert syrien, une génération entière grandit sans repères, ni pays, ni promesse de lendemain.

Et tandis que le monde détourne le regard, ces enfants continuent de payer, jour après jour, les crimes de leurs parents.

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