Pourquoi les groupes extrémistes trouvent-ils refuge en Afrique?

Août 29, 2022 | Afrique, Les rapports, Terrorisme

CFRP- Après des années d’échecs militaires en Syrie et en Irak, des groupes affiliés à Daech, ainsi que d’autres groupes rebelles et extrémistes liés à al-Qaïda, ont étendu leur contrôle et intensifié leurs attaques contre des cibles civiles et militaires dans les régions les plus politiquement instables en Afrique faisant de nombreux victimes et des actes de sabotage et de destruction.

Géographiquement, les attaques terroristes se sont concentrées dans les régions du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest aux frontières entre le Mali, le Niger, le Burkina Faso, autour du lac Tchad, le nord-est du Nigeria et le Cameroun. L’année 2021 a vu l’émergence de groupes affiliés au terrorisme mondial en Ouganda et en République démocratique du Congo, mais aussi au Mozambique en Afrique australe. Ainsi, le phénomène n’est plus local dans ses pays, car le continent africain est devenu un modèle de « terrorisme transfrontalier ».

Terrorisme en Afrique : état des lieux

L’Afrique est l’un des continents les plus importants qui connaissent une activité intense des groupes violents et extrémistes, pour de nombreuses raisons liées à des conditions politiques, économiques et sociales. Les mouvements d’insurrections terroristes en Afrique opèrent leurs opérations dans trois zones géographiques principales.

Il s’agit de la Somalie, où une insurrection très ancienne depuis plusieurs années a déstabilisé les régions frontalières du Kenya. Ce mouvement inspire des groupes violents au Mozambique et en République démocratique du Congo.
La seconde zone se trouve dans la région sahélienne de l’Afrique de l’Ouest. En effet, la région frontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso a été particulièrement touchée, ainsi que les pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin. Enfin, la zone autour du lac Tchad et du nord-est du Nigeria, où le conflit affecte directement le nord du Cameroun, le Tchad et le Niger.

Quant aux organisations affiliées à Daech,il existe en Afrique plus de (13) organisations terroristes actives dans (13) pays africains. Bien que les organisations les plus puissantes soient concentrées à l’est du continent (Al-Shabab en Somalie) et à l’ouest (Boko Haram au Nigeria), d’autres pays ont connu ces derniers temps une augmentation intense de l’activité terroriste, dont le Congo (Centre Afrique), le Mali, le Niger et le Tchad (région du Sahel) à leur tête Daech.
Le coordinateur en chef adjoint par intérim pour la lutte contre le terrorisme au département d’État américain, Christopher Landberg, a déclaré en mai 2022 que «les attentats terroristes dans la région du Sahel (Afrique de l’Ouest) et le Sahara ont augmenté de (43%) de 2018 à 2021 ».

Voici la répartition des organisations extrémistes par pays en Afrique :

  •  Pays du Sahel (Mali – Burkina Faso – Niger) : en tête des indices avec la présence de (7) organisations extrémistes : «Groupe du soutien à l’Islam et aux Musulmans», «Ansar al-Din », «Front de libération Massina», «Al -Mourabitoun » et « Emirat du Sahara » affiliés à Al-Qaïda au Maghreb », et « Ansar al-Islam » affiliés à Daech.
  • Bassin du lac Tchad (Nigéria – Cameroun – Tchad) : 3 organisations extrémistes y sont actives, « Boko Haram » et « Daech à l’ouest du grand sahara ».
  •  Somalie : Deux organisations extrémistes : Al-Shabab, qui est également actif au Kenya pays voisin, ainsi que Daech en Somalie.
  • Tunisie : Trois (3) organisations extrémistes actives : Il s’agit de l’organisation « Uqba bin Nafeh », de la branche de « Ansar al-Sharia – Tunis » et des « Djounad El-Khilafa», qui avaient auparavant mené des opérations terroristes en Tunisie et en Algérie.
  •  Libye : « Daech en Libya » est encore actif, et il a 3 branches : « Wilayat Burqa », « Wilayat Fezzan » et « Wilayat Tripoli ».
  • Algérie : Al-Qaïda au Maghreb est toujours actif dans certaines régions du pays.
  • Égypte : deux (2) organisations à savoir: « Daech – branche de Sinai », composé de deux branches, à savoir « Wilayat Sinai» et l’organisation « Bait al-Maqdis » et « Daech –Égypte ».
  • Zimbabwe : Organisation Ahl al-Sunnah wal-Jama`ah.
  • Kenya : « Tandim al-hijra ».

Daech se tourne vers l’Afrique

Le rôle de Daech s’est accru dans le continent africain au cours des deux dernières années. Au cours de l’année 2021, l’hebdomadaire Al-Naba, relevant de Daech, a consacré 28 de ses 52 premières pages à l’Afrique, au cours desquelles il a exhorté les gens à rejoindre l’organisation dans le continent. Daech a également publié des vidéos en Syrie et en Irak félicitant les combattants en Afrique.

Doug Hoyt, le chargé des affaires américain adjoint par intérim pour la Coalition mondiale contre Daech, a fait savoir le 12 mai 2022 : « La chose la plus inquiétante, ce sont les éléments affiliés à Daech qui sont actuellement actifs dans la région subsaharienne, car les chiffres sont inhabituels et ils ont beaucoup de terres sur lesquelles ils peuvent mener leurs activités ».

L’organisation a établi 7 branches ses 13 branches en Afrique, et ce, après avoir annoncé la création de deux nouveaux États (branches) officiels pour Daech dans la région du Sahel en mars 2021 et au Mozambique en mai 2021.

Des rapports de renseignement ont indiqué que les éléments de l’organisation sont estimés à environ (8000) éléments actifs dans ses rangs à travers le Nigeria et le Niger, ainsi qu’au Cameroun. Ils sont de nationalités multiples et bénéficient d’armes et d’un soutien financier par le biais d’opérations de contrebande au Sahara, ainsi que de l’imposition de redevances, de l’enlèvement, de rançons et de taxes sur des zones où la souveraineté sécuritaire des États africains recule.

Le nombre d’éléments de Daech dans le golfe de Guinée est également estimé à environ (1 000) combattants, et (1 200) combattants au Mozambique. L’organisation a également des branches en Somalie et en Libye, et elle cherche à établir de nouvelles branches en Afrique australe.

L’Etat islamique joue également avec le trafic de prisonniers dans les prisons des pays africains, et a fait passer environ (800) clandestinement depuis les prisons nigérianes, dans le but de soutenir ses rangs avec des combattants.

L’Afrique de l’Ouest est la branche la plus active de Daech. Les statistiques ont fait ressortir que les branches de l’organisation dans cette région ont mené près de la moitié des attaques au cours de l’année 2021, alors que l’organisation a lancé environ (583) sur (1219) opérations terroristes dans les pays africains, soit environ (48%) de la totalité des opérations terroristes sur le continent africain. Compte tenu de la capacité de l’organisation terroriste à attirer de nouveaux combattants et à obtenir un soutien matériel, profitant de la fragilité sécuritaire au Sahel, au Sahara et dans les pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Tchad, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Burkina Faso, selon le rapport 2022 Global Terrorism Index publié par l’Institute for Economics and Peace.

Alliance de l’insurrection avec le terrorisme en Afrique

Les organisations extrémistes, en particulier Daech, financent et arment leurs alliés des mouvements séparatistes en échange d’enlèvements de citoyens et d’étrangers ou d’attaques contre les forces militaires, ainsi que d’une coordination entre les organisations (séparatistes, non extrémistes et crime organisé) qui leur assurent d’éviter les affrontements armés entre eux. Les serments d’allégeance africains aux mouvements séparatistes et insoumis à la direction centrale de Daech rapportent un bénéfice commun : d’une part, la Direction garantit sa continuité et donne l’impression de posséder le pouvoir, et d’autre part les groupes ayant prêté serment bénéficient de l’image de l’organisation.

Cette alliance et ce lien entre les organisations s’incarnent dans plusieurs modèles, notamment :

  • Le groupe « Forces démocratique de l’alliance  » a été créé par un groupe d’officiers dissidents ougandais et est actif en Ouganda et en République démocratique du Congo, dont le chef Musa Sika Baluku, qui a déclaré en septembre 2020, son allégeance à Daech.
  • Boko Haram, qui a prêté allégeance à Daech en mars 2015 et est devenu l’une des deux ailes de la province d’Afrique centrale.
  • Le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » au Mali, formé de plusieurs factions séparatistes et terroristes, a annoncé son allégeance à Al-Qaïda en mars 2017.

Pourquoi le Groupe Daech a-t-il choisi l’Afrique ?

Le « jihad » africain n’est pas un jumeau du jihad en Orient. Les perspectives sont très différentes de par leur impression des dynamiques locales, notamment avec le déclin des États-Unis face au terrorisme au sein de ce continent devenu attractif pour les organisations violentes et extrémistes, peut-être en raison de sa situation géographique, ainsi que de sa situation politique fragile et instable, et sa faible situation économique, qui constituent un environnement d’incubation pour les groupes extrémistes. Comme toujours, la propagation du terrorisme est liée aux conditions socio-économiques. Les organisations terroristes exploitent la privation et l’aliénation pour recruter des membres.

Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a déclaré le 29 mai 2022 que le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement se nourrissent mutuellement, les causes entrelacées offrant un terrain fertile pour les coups d’État militaires et les attaques terroristes sur le continent, ajoutant que la guerre de l’Afrique contre le terrorisme s’est ralentie en raison du manque d’engagement fort de la communauté internationale.

Dans son expansion, Daech profite de la faiblesse de la lutte contre le terrorisme. Les opérations conjointes entre pays sont rares, comme la coordination entre les armées congolaise et ougandaise dans la lutte contre les « forces démocratiques alliées », ou l’intervention rwandaise pour affronter Daech au Mozambique. .
Financement de Daech en Afrique

Daech a toujours la «forte capacité de maintenir les flux financiers et de les diriger vers les affiliés de l’organisation dans le monde entier. Un rapport publié par le Conseil de sécurité le 22 juillet 2022 indique que des Ougandais et des Kenyans font fortune dans un certain nombre de pays et « soutiennent le groupe rebelle des Forces démocratiques alliées en République démocratique du Congo, qui a prêté allégeance à Daech». Le groupe « reçoit également de l’argent de propriétaires d’entreprises en Ouganda ». Le rapport ajoute que « Daech sème la corruption au Nigeria, en République démocratique du Congo et au Mozambique » et que « l’argent est transféré aux groupes affiliés à l’organisation en Afrique par l’intermédiaire de son bureau en Somalie ».

Daech et Al-Qaïda utilisent des crypto-monnaies pour demander des dons et soutenir leurs activités. Le mouvement somalien « Al-Shabab » dépense (24) millions de dollars par an pour armes et explosifs, et gagne entre (50-100) millions de dollars.
En mars 2022, les États-Unis ont imposé des sanctions à quatre personnes vivant en Afrique du Sud après avoir été accusées d’exploiter le système financier du pays pour « faciliter le financement des branches et des réseaux de Daech ».
Lutte contre le terrorisme en Afrique.

Malgré les efforts considérables des pays européens et des États-Unis – avec la France et le Royaume-Uni en première ligne – et avec le plein soutien des organisations multilatérales telles que les Nations Unies et les banques de développement, les insurrections « djihadistes » ont continué à se développer.

Les États-Unis ont environ 6000 soldats en Afrique, principalement impliqués dans la lutte contre les groupes extrémistes. Au Sahel, la France a mené deux très grandes opérations militaires. La première, connue sous le nom de Serval, a stoppé l’avancée des rebelles et évité l’effondrement complet de l’État malien grâce à une attaque coordonnée de quatre puissants groupes armés en 2013. Elle a été suivie d’une autre opération Barkhane, transformée en force multinationale Takuba, auquel elle a participé avec (5 400) soldats français, avant d’annoncer, sous la direction d’Emmanuel Macron, le retrait du dernier soldat français du Mali le 15 août 2022, après de vives querelles avec un nouveau conseil militaire au pouvoir au Mali qui a pris le pouvoir après un coup d’État en 2020. .

En 2007, à la demande du Conseil de sécurité des Nations unies, l’Union africaine a lancé son projet Mission en Somalie (AMISOM) avec la participation de (11) pays africains et environ (20) mille personnels déployés sur terrain en plus d’importants moyens financiers et le soutien technique des pays occidentaux.

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation (MINUSMA) est présente au Mali depuis 2013 et compte 18 000 personnes, à la tête de ce qui est devenu la plus meurtrière de toutes les opérations de maintien de la paix des Nations Unies.

Mais un nouveau parti est entré dans l’arène après le retrait des pays occidentaux. Il s’agit bel et bien du président russe Vladimir Poutine. Malgré la guerre coûteuse de Poutine en Ukraine, Moscou tient à s’implanter dans toute la région, renforçant sa présence au Mali avec des conseillers militaires et des mercenaires travaillant pour le groupe Wagner lié au Kremlin, qui est déjà impliqué dans des crimes de guerre pour piéger la France. « Foreign Policy » a cité un haut diplomate américain disant : « (1 000) éléments de (Wagner) ne combleront pas le vide sécuritaire au Mali. Cela crée de nouvelles recrues pour ces groupes militants.

Les représentants de (84) pays de la coalition se sont réunis le 12 mai 2022 à Rabat, sous la direction des États-Unis. C’était la première fois que le continent africain accueille une réunion de la coalition, dans le but d’attirer l’attention internationale sur face à la menace du repositionnement de ses éléments par Daech dans la région du Sahel et du Sahara et sur l’ensemble du continent africain.

Malgré les efforts déployés, ils sont encore insuffisants en raison d’un ensemble d’obstacles, dont la faiblesse des capacités des pays du continent, que ce soit pour affronter l’extrémisme et les mouvements terroristes, ou pour affronter l’extrémisme en général.

Il semble que la communauté internationale ne fasse pas preuve du sérieux nécessaire, que ce soit dans la lutte contre les organisations extrémistes ou dans l’appui aux pays du continent pour mener à bien cette tâche. Cela est dû à plusieurs raisons, notamment que ces pays ne ressentent aucune menace directe en raison de la présence de ces organisations dans les pays du continent africain, et parce qu’il y a une impression internationale que la menace terroriste est concentrée au Moyen-Orient. Tous les efforts sont dirigés pour affronter l’organisation dans cette région. Elle affronte souvent ses branches en Afrique, malgré la puissance croissante de ces branches et leur menace pour la sécurité et la stabilité de nombreux pays africains.

Évaluation de la situation

Si le Moyen-Orient a été le berceau de Daech, c’est en Afrique que le groupe connaît aujourd’hui sa plus forte poussée de croissance.

Le choix de Daech pour l’Afrique est lié à l’idée de rechercher une nouvelle victoire pour l’organisation au milieu des décombres des défaites qu’elle a subies après la chute de son État et l’assassinat de deux de ses « califes ».

On peut dire que le problème du terrorisme est l’un des problèmes les plus graves auxquels sont confrontés les pays et les sociétés du continent africain. Il coûte à ces pays un lourd tribut dans divers domaines d’intérêt.

Il est « probable » que le retrait français entraînera « un vide dans certaines zones exploitables par des groupes terroristes armés ». Les attaques peuvent s’intensifier si les conditions sous-jacentes qui ont conduit à l’extrémisme ne sont pas traitées. Des années d’inégalités et de difficultés sociales et économiques ont entraîné des taux élevés de chômage des jeunes et une base croissante de radicalisation potentielle.

L’insurrection militaire continue dans les pays africains sape la crédibilité des gouvernements et crée des tensions parmi les populations locales tout en renforçant les conflits existants.

Le Mali, par exemple, un pays qui a fait des progrès impressionnants dans le domaine de la démocratie avant la guerre de 2012, a connu trois coups d’État militaires au cours des huit dernières années, tous liés au sentiment que le gouvernement est incapable de répondre efficacement à ces rébellions.

Cependant, si les pays occidentaux commencent à réduire sérieusement leur soutien aux gouvernements, les insurgés pourraient s’emparer de vastes zones, communiquer plus efficacement avec les mouvements mondiaux et devenir une menace mondiale. Par exemple, l’administration Biden a récemment réduit son soutien à l’armée somalienne combattant al-Shabab, et selon des officiers de terrain, cela s’est déjà traduit par des gains territoriaux pour le groupe djihadiste.
Le travail de la coalition internationale contre Daceh doit se poursuivre et son centre d’opérations doit être en Afrique en raison du grand succès de l’organisation à stationner sur le continent noir.

La communauté internationale doit assumer sa responsabilité envers le continent en termes de lutte contre le terrorisme, que ce soit en apportant un soutien militaire direct, en fournissant des informations de renseignement ou en soutenant des budgets d’armement destinés à faire face à l’expansion de ces organisations.

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