Militaires VS Civils: où va le Soudan ?

Nov 13, 2021 | Études

Le 25 octobre 2021, les événements se sont accélérés rapidement au Soudan, où de graves tensions politiques ont opposé les militaires aux civils. Suite de quoi, les militaires dirigés par le commandant en chef de l’armée Abdel Fattah Al-Burhan ont déclaré l’état d’urgence dans le pays, la dissolution du gouvernement de transition, l’arrestation de nombre de responsables et de ministres, la prise de contrôle sur la télévision, la fermeture de l’aéroport de Khartoum, la suspension des vols et la coupure des communications et d’Internet. Ces mesures ont poussé des dizaines de milliers de civils à descendre dans la rue pour protester contre l’armée, considérant ces mesures comme un coup d’Etat contre la démocratie qui menace le règlement pacifique au Soudan. Il s’agit de plus grave crise politique et sécuritaire depuis la chute du régime de l’ancien président Omar el-Béchir, selon des observateurs.

De nombreuses parties internationales n’ont pas tardé à annoncer leur rejet et à critiquer la démarche des militaires. Les États-Unis, par voix du porte-parole de son département d’État, Ned Price, ont mis en garde que la déviation et l’échec de la voie de transition dans le pays mettraient en péril les relations bilatérales du Soudan avec les États-Unis, y compris les aides offertes au pays. Washington a exhorté les politiciens soudanais à faire des « progrès rapides » vers un régime civil, afin de « parvenir à un consensus sur la date » pour qu’un civil dirige le Conseil de souveraineté. Il restait quelque 50 jours pour transférer la présidence du Conseil de souveraineté aux civils en novembre.

D’autres instances internationales telles que l’Union africaine, la Ligue arabe et l’Union européenne ont également condamné les mesures des militaires au Soudan. L’Union européenne a menacé de suspendre son aide financière si un gouvernement civil ne reprenait pas la direction du pays immédiatement.

Ce rejet international et l’inquiétude locale et régionale généralisée concernant les évènements internes survenus au Soudan interviennent alors que des défis internes et régionaux pèsent dans le pays (dont de nombreux conflits à ses frontières et outre de nombreuses crises dans ce pays africain). Ces développements ne concernent pas uniquement le Soudan, car leurs répercussions peuvent constituer une menace directe et indirecte à l’extérieur du Soudan. Dans l’ambiguïté de la scène et de ses développements rapides et complexes qui s’imposent à l’analyse de la situation et de la nature des évolutions possibles de la prochaine étape dans un pays où l’accord entre militaires et civils n’a pas duré longtemps, il est difficile de prédire un scénario spécifique pour la crise actuelle. Le présent article prédit donc les scénarios suivants :

1) Nombreuses composantes militaires et civiles, un scénario de chaos  

Ce scénario suppose que la période à venir sera une période de troubles et d’insécurité au Soudan pouvant atteindre un état de chaos général en sus de beaucoup d’ambiguïté et d’incertitude.

Le pays englobe de nombreuses composantes militaires non unifiées « l’armée, le soutien rapide, la sécurité et le renseignement, et la police », et les composantes militaires des milices et brigades de l’ancien régime qui visent à barrer la route à la révolution, à traduire en justice les symboles de l’ancien régime et à démanteler ses institutions.

D’autre part, il y a une lutte sur le terrain suite à un appel des partis soudanais à protéger la révolution et à rejeter le mouvement militaire, comme le Parti communiste soudanais, qui a déclaré la grève politique et la désobéissance civile, ainsi que « le Congrès Party » et l’Association des professionnels soudanais, qui considéraient que ce qui s’était passé était un coup d’État et que les citoyens devaient descendre dans la rue pour y résister. Parce que la composante militaire du pays a illégalement violé le document constitutionnel.

Il y a des manifestants pro-militaires, comme la faction « Minasat AL-Ta’sice », qui s’est séparée des Forces pour la déclaration de liberté et de changement, et est affiliée à deux anciens chefs de la rébellion dans la région du Darfour. Cette faction soutient le renversement du gouvernement de transition, sous prétexte qu’il n’a pas répondu aux besoins financiers de la population dans la période passée et n’a pas réussi à résoudre les crises.

L’accélération des crises et des alignements dans la rue soudanaise montre bien que le conflit qui se dessine actuellement n’est pas purement militaire et civil, mais inclut plutôt le conflit existant sur le terrain, qui s’est divisé. Et que les choses sont dans une impasse, et tout le monde dit qu’il représente l’opinion de la rue et cherche à utiliser les tendances de la rue comme atout pour atteindre ses objectifs d’accéder au pouvoir, sur lequel la lutte est devenue apolitique.

Cette période devait être dirigée par un gouvernement de transition composé de civils et de militaires, jusqu’à l’organisation d’élections générales en 2023. Mais cet hybride entre civil et militaire a été considéré par Hamdok, comme la raison de l’affaiblissement du gouvernement, estimant qu’il manque de cohérence et l’esprit d’équipe. Sans parler de la rupture survenue après le récent coup d’État, qui va exacerber les dissidences entre les ailes de l’État profond.

Cette évolution conduirait d’une manière ou d’une autre à la poursuite du chaos au Soudan, car elle accélérera l’application des sanctions mais aussi les condamnations internationales. Le pays pourra se tourner vers des scénarios à l’image de ceux de la Libye ou la Syrie, si la rébellion armée rebondit.

2) Disperser le sit-in et organisation des élections

En cas de poursuite de la prévalence de la tension dans la rue et l’état de chaos, le Conseil militaire pourra s’emparer du pouvoir et mettre fin à tout mouvement civil de protestations, en utilisant des moyens répressifs pour faire taire toute voix dissidente sous prétexte de menace potentielle à la sécurité. Sans compter que l’armée refuse complètement d’appeler ce qui s’est passé un coup d’État. Les militaires qualifient leur démarche de redressement du processus.

A ce propos, Al-Burhan l’a clairement dit : «S’il y avait eu un coup d’État, nous aurions été changés aussi. Ce qui s’est passé, c’est un redressement du processus.

Ce scénario remet complètement en cause l’abandon du pouvoir par l’armée. Les militaires avaient déjà abandonné el-Béchir dans le passé, et pris des mesures pour transférer le pouvoir aux civils. Mais en réalité, ce ne sont que des mesures tactiques, qui auraient pour objectif de calmer la rue et la communauté internationale avant de se retourner contre ces mesures et s’emparer du pouvoir.

L’armée va appeler aux élections, supervisées par elle-même, pour instaurer un nouveau régime militaire, mais avec une couverture démocratique, dans lequel l’armée reprendra le contrôle sur les ressources du pays.

Depuis son indépendance en 1956 jusqu’aux récents événements, les civils n’ont gouverné que pendant dix ans au Soudan, ce qui signifie que la vie politique au Soudan n’a été qu’une politique entièrement militaire au cours de toutes ces dernières années. Par conséquent, le Conseil militaire devrait assumer le gouvernement jusqu’à la tenue d’élections libres.

Mais ce scénario est confronté à trois défis différents, selon le Carnegie Center, dont le premier est la grande reprise économique, d’autant plus que la détresse financière vécue par le gouvernement de transition a constitué un obstacle à sa poursuite au vu de son incapacité totale à résoudre les graves crise économique, qui a entraîné le désespoir, le mécontentement et le ressentiment des citoyens, et a créé des prétextes et des motifs pour renverser ce gouvernement.

Deuxièmement, la capacité de maintenir une stabilité fragile avec les mouvements armés voisins dans les régions, en particulier dans certaines parties de la région du Darfour et dans les provinces du Sud Kordofan et du Nil Bleu outre les menaces des tendances séparatistes dans l’est du Soudan, où les appels à la pleine autonomie se font plus forts depuis l’indépendance du pays.

Le troisième scénario est l’absence d’une armée unifiée, même si le Conseil militaire prétend le contraire affirmant travailler de concert avec une démarche de sécurité cohérente. Cependant, il peut s’agir d’une tactique temporaire pour contourner la situation actuelle, alors qu’en vérité chaque faction a ses propres alliances différentes, parfois conflictuelles, avec ses propres intérêts, en particulier des entreprises commerciales détenues par les institutions militaires qui ne souhaitent pas les transférer à des ministères civils à l’avenir.

3) Le scénario d’un retour au consensus civil et militaire sous pression et soutien internationaux

Ce scénario, est le plus probable, suppose un retour au dialogue entre les forces et les partis politiques au Soudan à nouveau selon les critères du document constitutionnel, si la formation d’un gouvernement qui jouit de l’acceptation populaire soit atteinte.

Ce scénario est probable car il existe un consensus populaire sur l’insatisfaction quant à la performance du précédent gouvernement de transition en sus du rejet de l’ingérence de l’armée dans la vie civile et la gouvernance. Les parties régionales et internationales concernées par le dossier soudanais « ont intérêt à sa stabilité », y compris la Russie, les États-Unis et l’Égypte, pays voisin, dont le Soudan représente une profondeur stratégique qui menace sa sécurité nationale si les choses tournent mal là-bas.

En outre, toutes les composantes politiques et militaires du pays qui se sont formées après le renversement d’Al-Bashir visaient à mettre fin aux conflits internes, à contenir les forces marginalisées et à essayer de sortir de la démarche de résolution des problèmes soudanais par des quotas, à des accords globaux et des règlements pour les faire participer aux institutions de l’État.

Le journaliste écrivain spécialisé dans les relations internationales, Oussama Al-Dalil, affirme que la scène au Soudan est susceptible de voire les scénarios syrien ou libyen se reproduisent ; pour plusieurs considérations différentes, car les acteurs ayant intérêt dans la stabilité du Soudan sont plus nombreux que ceux qui ont des intérêts dans sa division.

Il y a des indications et des preuves que la situation n’évoluera pour devenir similaire à celle de Syrie ou de Libye. Contrairement aux situations régionales et internationales, il n’y a pas de flux financiers et d’armes qui aggraveraient la situation interne pour arriver à ce que la scène libyenne a atteint outre la multiplicité des acteurs et des parties prenantes là-bas. D’autant plus que l’indicateur d’action militaire peut passer en l’absence d’ingérence extérieure, et qu’il peut répondre aux pressions internationales et aux menaces de suspendre les aides.

 

 

 

 

 

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