Malgré l’installation des organes de la transition, l’espoir d’un nouveau Mali risque de se transformer à un cauchemar

Jan 18, 2021 | Afrique, Les rapports, Terrorisme, Terrorisme et extrémisme

Mohamed Ag Ismail

Doctorant à l’Institut de Pédagogie Universitaire (IPU)

Introduction

Les forces Armées Maliennes sont intervenues à nouveau dans la sphère politique le 18 août 2020 contraignant le Président Ibrahim Boubacar KEITA démocratiquement réélu en 2018 à dissoudre l’Assemblée Nationale et à démissionner[1]. Cette ingérence militaire qualifiée de « salutaire » a été précédé par des gigantesques manifestations et de la désobéissance civile durant plusieurs semaines conduites par une mosaïque des partis politiques et mouvements syndicaux-religieux regroupé au sein du Mouvement du 05 juin –Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) dirigé par l’influent Imam Mahmoud Dicko et réclamant la chute du régime et la refondation de l’Etat[2].

Ce coup de force est intervenu dans un contexte d’une crise sociopolitique déclenchée à l’issue des élections législatives de mars-avril 2020 contestées[3]. Il faut noter également l’impasse des négociations entre le régime KEITA et les leaders du M5- RFP malgré les efforts de la médiation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la communauté internationale[4].

En effet, ces militaires du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) avaient impressionné l’opinion publique par la réussite de l’opération sans effusion de sang ni la suspension de la Constitution. La tenue d’un discours promettant de mettre en place une transition inclusive en vue de parachever la lutte pour le changement et refonder l’Etat[5].  Il reste à savoir à quel point ces promesses ont été respectées et quels sont les défis à relever ?

Réalisations de la transition 

Quant aux réalisations durant quatre mois, il faut en citer l’adoption de la Charte de transition pour une durée de 18 mois. La mise en place desdits organes à savoir la désignation du Président de la transition le Colonel à la retraite Bah N’DAW, secondé par le Chef du CNSP, le colonel major Assimi GOITA en qualité du Vice-président, chargé uniquement des questions de défense et de sécurité[6]conformément aux exigences de la CEDEAO[7]. La formation du gouvernement dirigé par un civil en l’occurrence le diplomate Moctar OUANE[8] et enfin la nomination des membres du Conseil National de Transition (CNT). La présidence de cette dernière institution législative a été également confiée au numéro deux de la junte militaire, le Colonel Malik DIAW[9].

Ces colonels ont pu convaincre beaucoup d’éléments clefs du M5-RFP tel qu’Issa Kaou Djim, et Nouhoum SARR de les soutenir et intégrer les nouvelles autorités. Il faut rappeler également c’était la première fois depuis la signature de l’Accord d’Alger en 2015 que les mouvements signataires (l’ex-rébellion du Nord) ont fait leur entrée au gouvernement et au CNT. 

Les objectifs de transitions sont entre outre : les réformes institutionnelles et constitutionnelles, l’organisation d’élections générales libres, équitables et transparentes[10] qui marqueront la fin de la période de transition.

Par ailleurs, les nouvelles autorités ont réussi sur le plan diplomatique à mettre fin aux sanctions imposées dès le lendemain du coup d’Etat notamment celles de l’organisation sous régionale relatives à la fermeture des frontières, la suspension des transactions commerciales et financières avec le Mali et sa participations dans les organes de l’UA[11]. Cet objectif a été atteint deux mois plus tard, suite à plusieurs tractations, modification et publication de la version finale de la Charte limitant textuellement les prérogatives du Vice-président.

Les défis

Force est de constater que les approches ayant abouti à la mise en place de ces organes et les modalités de désignation de certaines personnes choisies pour les diriger n’ont pas été assez apprécié ni par l’opinion publique malienne et encore moins par la majorité de la classe politique[12]. D’ailleurs, la polémique persiste quant à la légitimité politique et la représentativité du CNT.  Certains observateurs en avaient mis en cause la légalité juridique, en se basant sur les violations de décisions de la conférence, la Charte nationale et le décret présidentiel relatifs aux répartitions des sièges du CNT entre les forces vives de la nation[13]. En fait, il ne s’agit pas seulement des violations de textes y référent, mais de l’ambiguïté autour de l’appartenance politique des personnes désignés.

Ces nominations par le Colonel Assimi GOITA s’ajoutant à d’autres décisions unilatérales, signifiait que ce dernier avait outrepassé ses prérogatives de transition limitées à la défense et sécurité. Cette posture exclusiviste n’est ni rassembleuse ni fédératrice de l’ensemble des forces vives de la nation et ne rassure pas la communauté internationale. Alors que le pays a besoin d’un sursaut national afin de retrouver sa vie d’antan et pouvoir faire face au problème sécuritaire menaçant son existence depuis presque dix ans.

Cette méfiance s’était accentue par la militarisation de l’administration via la nomination des gouverneurs et sous-préfets militaires dans la quasi-totalité de conscriptions et régions[14] d’une part et dans les postes clefs dans les différents ministères et structures étatiques d’autre part.

Pour ce qui concerne les partenaires du Mali tel que la Communauté Economique de l’Afrique de l’ouest (CEDAO), l’UA et l’ONU réitèrent leurs engagements à accompagner le Mali pour une transition paisible et inclusive[15]. C’est dans ce cadre que la délégation ouest-africaine est venue cette semaine à Bamako pour évaluer les acquis et inciter au dialogue[16].

Conclusion 

En dépit de ce qui précède, l’instauration d’un dialogue inclusif pourrait être un bon début pour désamorcer la glace et conduirait les acteurs à se focaliser sur les grands chantiers de réformes institutionnelles et constitutionnelles afin de mettre en place les jalons d’un Etat de droit. D’ailleurs, les atouts d’une transition réussie sont bien visibles s’ils sont accompagnés par une réelle volonté politique des détenteurs du pouvoir, car le Mali a été non seulement un bon élève » démocratique en Afrique, mais il a aussi une vieille civilisation et des partenaires prêts à contribuer à ce qu’il se retrouve dans les concerts des nations. L’ex rébellion du Nord semble également engagée pour accompagner la transition via sa participation dans le gouvernement et au sein du CNT.   Le M5- RFP et les partis d’ex majorité affirment de ne pas souhaiter l’échec de cette transition.  Donc il est fort possible que ces acteurs maliens arrivent à un consensus compte tenu d’enjeu en cours – le salut du Mali- et l’épuisement de se tirailler.

Par contre, si les autorités continuent dans cette optique de mépris et d’unilatéralisme, on risquerait non seulement de rater l’opportunité de bâtir un nouveau Mali stable et démocratique mais aussi le pire scenario d’éclatement arriverait.  Parce que le statu quo est intenable et les partenaires du Mali sont à l’épuisement sans oublier les conséquences néfastes de la crise sanitaire en cours sur les économies et la solidarité internationale.

[1] Coup d’Etat au Mali : le président, Ibrahim Boubacar Keïta, démissionne (lemonde.fr) : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/08/18/coup-d-etat-au-mali-le-president-ibrahim-boubacar-keita-et-son-premier-ministre-aux-mains-des-putschistes_6049272_3212.html

[2] Inquiétude sur l’issue de la transition au Mali: Toute l’actualité sur liberte-algerie.com (liberte-algerie.com) : https://www.liberte-algerie.com/international/inquietude-sur-lissue-de-la-transition-au-mali-352395

[3] Législatives au Mali : les résultats contestés dans la rue – Le Point : https://www.lepoint.fr/afrique/legislatives-au-mali-les-resultats-contestes-dans-la-rue-07-05-2020-2374625_3826.php

[4] Crise malienne : une journée de discussions sans accord | Afrique | DW | 17.07.2020 : https://www.dw.com/fr/crise-malienne-une-journ%C3%A9e-de-discussions-sans-accord/a-54210569

[5] Première Déclaration du CNSP à la télévision nationale 18 aoute 2020.

[6] Article 07 de la Charte de la transition, publiée au Journal officiel de la République du Mali le 1er octobre 2020.

[7] Mali : l’ex-ministre de la Défense Bah N’Daw désigné président de la transition – Jeune Afrique : https://www.jeuneafrique.com/1047761/politique/mali-lex-ministre-de-la-defense-ba-ndaou-designe-president-de-transition/

[8] Moctar Ouane, un diplomate de carrière pour conduire le gouvernement de transition au Mali (lemonde.fr) : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/09/28/mali-moctar-ouane-un-diplomate-de-carriere-pour-conduire-le-gouvernement-de-transition_6053882_3212.html

[9] Mali : le colonel Malick Diaw élu à la tête du CNT – Jeune Afrique : https://www.jeuneafrique.com/1086594/politique/mali-le-colonel-malick-diaw-elu-a-la-tete-du-cnt/

[10] La version finale de la Charte de la Transition publiée : Place à la levée des sanctions contre le Mali | Maliweb (mali-web.org).

[11] fr-psc-954-communique-on-mali-9-october-2020.pdf (peaceau.org)

[12] « Quota et mode de désignation au CNT : Le niet des partis et regroupements politiques » :

maliweb.net – Quota et mode de désignation au CNT : Le niet des partis et regroupements politiques

[13] Malik Dianoumba, « Exclusion dans la mise en place du CNT : les militaires se mettent à dos le M5-RFP, le chérif de Nioro, la CODEM, les groupes armés … » publié le 07 décembre 2020, journal le combat. Exclusion dans la mise en place du CNT : les militaires se mettent à dos le M5-RFP, le chérif de Nioro, la CODEM, les groupes armés … – Le Combat – Actualités Mali

[14] ‘’Au Mali, la transition doit aboutir au retour à l’ordre constitutionnel’’ (Conseil de sécurité). Au Mali, la transition doit aboutir au retour à l’ordre constitutionnel (Conseil de sécurité) | ONU Info (un.org)

[15] « Nominations massives des militaires aux postes de gouverneur : Les administrateurs civils jugent celles-ci comme « méprisantes, insultantes et provocatrices » •La grève illimitée reste maintenue » . malijet.net consulté le 15/01/2021. Nominations massives des militaires aux postes de gouverneur : Les administrateurs civils jugent celles-ci comme « méprisantes, insultantes et provocatrices » •La grève illimitée reste maintenue – MALIJET

[16] Communique de la mission d’évaluation de la CEDEAO par rapport à la transition en cours au Mali, le 12 janvier 2021, site : www.ecowas.int  Fr_Communique_Mali_12-Jan-2021.pdf (ecowas.int)

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