Macron au Liban … comme partisan du changement et gardien des intérêts français

Sep 17, 2020 | Afrique, Les rapports

Les événements majeurs sur la scène internationale ont des effets politiques et géopolitiques profonds, et cela s’applique à l’explosion de Beyrouth, qui a provoqué des réactions immédiates sous forme de manifestations dans tout le pays, et un état d’instabilité politique et sociale. Le Liban souffre depuis longtemps de nombreuses manifestations populaires en raison de l’effondrement économique du pays, de l’escalade de la crise de la famine et du nombre croissant d’infections par le coronavirus, et immédiatement après l’explosion, les manifestations se sont intensifiées et ont exigé la fin de la corruption. Une partie de la communauté libanaise pro-française a lancé une pétition sur Internet qui comprenait plus de 60 000 signatures exigeant que le Liban doit se soumette sous l’intervention française pour les dix prochaines années.

Le président français Emmanuel Macron s’est rendu au Liban pour la deuxième fois, coïncidant avec le centenaire de la création du Liban en tant que protectorat français, depuis l’explosion massive du 4 août, qui a détruit le port de Beyrouth. Macron a cherché à pousser les dirigeants politiques au Liban à parvenir à un consensus sur les réformes et à mettre fin à des décennies de corruption et de mauvaise gestion. Il s’est engagé à tenir une conférence pour aider le pays économiquement en difficulté à la fin du mois d’octobre si les réformes commencent.

Deux jours après la première visite de Macron après l’explosion, le Premier ministre Hassan Diab a démissionné et le gouvernement a nommé un nouveau Premier ministre, Mustafa Adib. Avant les négociations de haut niveau de Macron, l’ambassade de France a distribué un « projet de programme » aux chefs des blocs politiques libanais, qui comprenait le traitement de la pandémie Covid-19, la situation humanitaire, les effets de l’explosion du 4 août, la reconstruction de Beyrouth, les réformes et les élections.

L’explosion a déclenché une controverse internationale qui a conduit à une mobilisation internationale contre la situation politique actuelle au Liban. Le président français Emmanuel Macron a été l’un des premiers chefs d’État à exprimer sa solidarité avec le Liban après l’incident. Il s’est rendu au Liban immédiatement après l’explosion, non seulement dans le but de manifester sa solidarité avec le Liban et de les aider à se remettre des effets de l’explosion qui a tué plus de 180 personnes, laissé des dizaines de milliers de sans-abri, détruit le port du pays et causé des dommages estimés à environ 4,6 milliards de dollars seulement ; mais aussi pour poursuivre les intérêts français.

Macron a appelé, lors de sa visite à Beyrouth, à une mobilisation internationale pour envoyer un soutien financier et humanitaire au Liban, mais il a appelé à la mise en œuvre de plusieurs réformes dans le pays. Il a annoncé qu’une enquête d’envergure serait ouverte pour vérifier la présence d’une éventuelle négligence de l’Etat libanais, le rendant « responsable » de la tragédie. Selon Macron, la France a réclamé plusieurs réformes au Liban pendant des années qui n’ont pas été mises en œuvre. Macron estime que si ces réformes avaient été mises en œuvre, l’explosion aurait été évitée. « C’est la dernière chance pour ce système », a déclaré Macron au magazine Politico Europe lors de son voyage à Beyrouth. C’est un pari risqué que je prends. J’en suis conscient … Je mets sur la table la seule chose que je possède : mon capital politique.

Macron n’essaye pas d’approcher le Liban sans raison. La France a des liens historiques avec le Liban. Les relations de la France avec le Liban remontent au moins au XVIe siècle, lorsque la monarchie française a négocié avec les dirigeants ottomans pour protéger les chrétiens et assurer leur influence dans la région. Avec la dissolution de l’Empire ottoman, la Société des Nations – l’organisation internationale prédécesseur des Nations Unies – a délégué à la France le devoir de gérer et de construire le Liban en tant qu’Etat. En raison des années de forte présence au Liban, une grande partie de la population entretient toujours des liens étroits avec l’Etat européen, principalement la partie chrétienne de la population (près de 40% de la population libanaise), qui voit en Occident un allié au sein d’une région à majorité islamique. En conséquence, de nombreux Libanais, notamment parmi les élites économiques, ont tendance à considérer la France comme un allié potentiel de leur pays.

L’objectif de Macron, déclaré à la presse, est de faire en sorte que les conditions soient réunies pour la formation d’un nouveau gouvernement capable de mener à bien les tâches fondamentales de reconstruction et de réforme au Liban, d’éviter que le Liban ne se retrouve pas « entre les mains des puissances régionales » et d’empêcher le pays de sombrer dans une nouvelle guerre civile. Cela sera difficile car les puissances régionales, telles que la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Iran, sont toutes en compétition pour gérer au Liban. Certains musulmans sunnites bénéficient du patronage turc et certains de l’Arabie saoudite, tandis que les chiites bénéficient du patronage iranien, alors que les chrétiens du Liban, qui occupent toujours la présidence en vertu de la constitution, ne bénéficient pas du soutien d’un État comme leurs homologues musulmans. C’est exactement ce que Macron peut exploiter.

L’objectif tacite est de contrôler le processus du changement au Liban, et donc, pour la France d’être le réconciliateur afin de conserver la tête d’un pont important qui garantirait ses intérêts politiques et commerciaux, non seulement en Méditerranée orientale, mais aussi au Moyen-Orient. En effet, la France cherche à y préserver son rôle distingué d’ancienne puissance coloniale, applaudi par les principales puissances chrétiennes libanaises, qui souffrent non seulement d’une crise économique et politique, mais aussi d’une crise existentielle.

En effet, les liens historiques n’étaient pas les seuls moteurs de l’intérêt français au Liban, le Liban ayant une importance stratégique au Moyen-Orient où le Liban joue un rôle important dans l’équilibre géopolitique du Moyen-Orient, principalement en raison de l’état de confrontation avec l’occupation israélienne, de la concurrence des puissances régionales, l’Iran et l’Arabie saoudite sur la décision politique au Liban, l’entrée de la Turquie sur la scène libanaise à travers certaines puissances sunnites et la volonté russe de maintenir l’équilibre actuel du pouvoir au Liban en faveur du Hezbollah, considéré comme plus proche pour renforcer son influence dans la région compte tenu de sa présence en Syrie, en plus du détournement des États-Unis de leur implication directe sur la scène libanaise avec sa formation actuelle.

La France estime qu’elle a le droit d’étendre son influence au Liban, alors qu’elle se dirige vers une plus grande indépendance dans sa politique étrangère, se distancie des intérêts de Washington et de Berlin, et a l’ambition de devenir une puissance plus forte qu’elle ne l’est en réalité. Macron tente de reconquérir les anciennes colonies françaises en tant que sphères d’influence, et cela se produit remarquablement en Afrique, où il conteste actuellement les tentatives de la Turquie de diffuser ses intérêts. Cependant, la France est désormais à l’offensive pour porter le conflit franco-turc dans une nouvelle arène qui est officiellement ; le Moyen-Orient.

En prenant pied au Liban, Macron pourrait affaiblir les tentatives turques de devenir le gardien du bastion sunnite du nord du Liban, ainsi que son influence dans la Syrie voisine, qui est également une ancienne colonie française. Depuis le Liban, Macron pourrait alors projeter sa puissance plus loin en Méditerranée orientale où la France soutient actuellement la Grèce et Chypre contre le comportement turc. Cependant, les intérêts de Macron au Moyen-Orient ne se limitent pas à ses anciennes colonies, mais s’étendent également en Irak. Macron s’est rendu à Bagdad après le Liban et y a offert son plein soutien à la souveraineté irakienne face à l’intervention militaire illégale turque dans son nord, qui avait récemment tué des soldats irakiens.

Malgré le conflit des intérêts français et turcs en Méditerranée orientale et en Afrique, après que Macron se soit présenté comme un gardien du changement au Liban, il étend ainsi l’influence de son pays et défie l’expansion turque dans la région. Les efforts de Macron ne sont pas seulement liés au Liban, car il a supervisé une politique étrangère française plus affirmée dans les sphères de l’ancienne France coloniale. Mais les politiques n’ont pas encore atteint leurs objectifs, que ce soit en Libye ou dans la confrontation géopolitique tendue en Méditerranée orientale avec la Turquie, ou dans la région sahélienne de l’Afrique, où le processus de stabilité politique est encore incomplet.

 

Share This