Mohamed AG ISMAIL, Doctorant à l’Institut de Pédagogie Universitaire (IPU)
Après le renforcement de son influence en Afrique de l’Est et du Nord via l’intervention en Somalie, en Libye et le soutien aux mouvements islamistes dans le deux régions, Erdogan élargi l’expansion turque a la partie Ouest-africaine par la signature en 2018 d’un accord de coopération visant la création d’une commission mixte entre la Turquie et la CEDEAO en matière du commerce et d’investissement.
Cette aventure répond à des intérêts à la fois économiques, de positionnement politique et d’influence stratégique[1]que certains qualifient de l’idéologie néo-ottomaniste[2]et de concurrencer les européens en particulier la France dans leurs zones d’influences hors l’Europe. D’où notre intérêt de connaitre les moyens déployés pour atteindre ces objectifs et les obstacles auxquels Ankara fait face.
Les intérêts et mécanismes turcs en Afrique de l’Ouest
Depuis l’arrivée du Parti pour la Justice et le Développement, la politique turque s’accentue à l’égard de l’Afrique en s’articulant autour de trois axes majeurs à savoir le réseau diplomatique, ses relations économiques et commerciales ainsi que sa large population musulmane sunnite[3].Elle devient un des cinq pays émergents ayant le plus gros volume d’échange commercial avec l’Afrique en se positionnant au niveau comparable à la Corée et au Brésil[4]. Au-delà de ses avantages économiques, Ankara vise avoir le soutien africain dans les instances internationales.
Cette région ouest africaine regroupant 15 Etats et plusieurs organisations (tel que CEDEAO, UMOUA) représente assez d’opportunités non seulement pour le commerce et l’investissement turcs mais aussi un poids diplomatique dans la quête d’influence au niveau continental…
Dans son expansion ouest africaine, Ankara avait privilégié pour un premier temps, d’accroitre ses relations économiques via la signature des plusieurs accords commerciaux que ce soit au niveau multilatéral comme l’accord de coopération signé en 2018,permettant la création de la commission mixte entre la Turquie et l’organisation de la CEDEAO[5]ou au niveau bilatéral. Cette relation économique a mieux prospéré avec certains pays comme la Cote d’Ivoire avec qu’il a signé l’accord de libre-échange[6] Il faut ajouter à cela, la construction de l’aéroport international Blaise Diagné, au Sénégal par un consortium d’entreprises turques[7]
Pour ce qui concerne le niveau politique et diplomatique, la Turquie a augmenté le nombre de ses ambassades et consulats sur le continent du 12 à 42 représentations[8]. Des visites officielles ont été intensifiée ces dernières années par des tournées répétitives de Ministre des affaires étrangères Turc dans la région. Ces visites étaient la suite logique à celles du président Erdogan en 2015, accompagné par d’une forte délégation d’hommes d’affaires dans quatre pays ouest-africains. Notamment en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria puis en Guinée[9]. Il est revenu en 2018 au Mali et au Sénégal, dans le même espoir d’étendre l’influence de la Turquie sur le continent africain[10]. En échange, plusieurs chefs d’Etats de cette région ont été accueillis par Ardogan à Ankara.
C’est d’ailleurs dans cette optique que le ministre des Affaires étrangères turc s’est rendu au début de septembre 2020 au Mali, en Guinée-Bissau et au Sénégal.[11]
Sur le plan militaire , elle a signé un pacte de défense avec le Nigeria en 2011 qui impliquait non seulement la livraison d’une flotte militaire et la formation d’une partie des troupes nigérianes par Ankara mais aussi une formation de la marine turque par les forces nigérianes[12]. Elle a aussi contribué dans le cadre de maintien de la paix dans cet espace africain en engageant des troupes au sein de coalitions telles que la mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), la mission au Liberia (UNMIL)[13]. Même si elle s’est opposée à l’intervention française en 2013 au Mali[14], Ankara a signé en juillet 2020 un accord de coopération militaire avec le Niger[15]. Erdogan exploite également les relations cordiales de l’Empire ottoman (1290-1919)avec les musulmans de cet espace sahélo-saharienne[16]pour propager son idéologie à travers également l’aide humanitaire et l’octroi des bourses d’études aux ouest-africains dans les universités turques. Des écoles turques ont été d’ailleurs implantées dans plus de 40 pays africains afin de former de nouvelles élites africaines[17].
Conclusion
L’expansion turque en Afrique de l’Ouest vient dans le cadre de sa politique d’ouverture à l’Afrique adoptée en 1998 dans le but d’atteindre quelques objectifs tel que le renforcement économique, la stabilité politico-sécuritaire, la recherche de l’appui des États africains au sein des instances multilatérales internationales et l’influence sur la scène internationale. Pour y parvenir, Ankara déploie tous les outils et mécanismes économiques, diplomatiques, militaires et culturelles. Cependant il y’a quelques obstacles qui entravent ce rapprochement. On peut en citer l’ingérence turque dans les affaires internes des Etats africains comme le conflit inter-libyen, l’idéologie religieuse du régime turc et les problèmes politiques internes qui peuvent s’exploser à tout moment et bouleverser ces relations prometteuses.
[1] La Turquie, expansion et leadership en Afrique | Atalayar – Las claves del mundo en tus manos
[2] Emilien Kientz, « L’influence de la Turquie en Afrique », Institut d’Études de Géopolitique Appliquée, 12 novembre 2020.L-influence de la Turquie en Afrique – Institut EGA.pdf (institut-ega.org), P.2
[3] Emilien Kientz, op.cit, p2
[4] Gabrielle Angey, « La recomposition de la politique étrangère turque en Afrique subsaharienne Entre diplomatie publique et acteurs privés » programme Afrique subsaharienne, institut français des relations internationales, mars 2014, pp.2-3.
[5]Accord de la coopération entre la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest et le Gouvernement de la République de Turquie, Istanbul, le 22 février 2018 0714%20SAM%20accord%20de%20Coopération%2027-04.pdf (apimali.gov.ml)
[6] Ambassade de Côte d´Ivoire en Turquie (diplomatie.gouv.ci)
[7] La Turquie et l’Afrique de l’Ouest renforcent leur coopération | West Africa Gateway | Portail de l’Afrique de l’Ouest (actualite-ouest-africaine.org)
[8] Maha Skah, « La Turquie en Afrique : une stratégie d’affirmation », Policy Center for the New South (Mai 2020, PB-20/41), p.2. La_turquie_en_afrique.pdf (africaportal.org)
[9] Coopération économique Turquie – Cedeao : Istanbul accueille le tout premier forum | FratMat
[10] Maha Skah, op.cit, p.3
[11] Mohamet Ozkan, Pourquoi la Turquie tisse des amitiés en Afrique de l’Ouest | Middle East Eye édition française, publié le jeudi 24 septembre 2020.
[12] Gabrielle Angey, op.cit, P.15
[13] Gabrielle Angey, op.cit, P.16
[14] Le Mali et les préjugés de la diplomatie turque | Les Echos
[15] Mohamet Ozkan, op.cit.
[16]Oliver Mbabia, « Ankara en Afrique : stratégie d’expansion » outre-terre (2011/3 n° 29), pp, 107-108
[17] Maha Skah, op.cit, p.3