Les répercussions de la guerre au Soudan sur la dynamique du terrorisme

Nov 2, 2025 | Afrique, Les rapports, Terrorisme

La guerre opposant les Forces armées soudanaises (FAS) aux Forces de soutien rapide (FSR) depuis avril 2023 a plongé le Soudan dans un chaos politique et sécuritaire profond. Cette situation crée un environnement propice à la résurgence et à la reconfiguration des groupes terroristes opérant en Afrique. L’article analyse les impacts de ce conflit sur la prolifération du terrorisme dans la région, en retraçant d’abord l’héritage djihadiste du Soudan sous le régime d’Omar el-Béchir, avant d’évaluer les risques actuels d’infiltration et de repositionnement des organisations extrémistes transnationales.

Introduction

Le Soudan, traversé par une guerre interne dévastatrice entre son armée nationale et les Forces de soutien rapide, se trouve aujourd’hui à la croisée des menaces sécuritaires africaines. La faiblesse institutionnelle, la fragmentation militaire et la porosité des frontières en font un point de convergence pour les réseaux djihadistes opérant entre le Sahel, la Corne de l’Afrique et le Moyen-Orient.

Les Frères musulmans soudanais, connus sous le nom de Kizan, sont perçus par plusieurs sources sécuritaires comme ayant alimenté les tensions internes dans le but de préserver leur influence politique et de tirer avantage du désordre généralisé. Dès lors, la guerre civile actuelle risque de transformer le Soudan en un foyer de reconstitution pour les organisations terroristes déstabilisées ailleurs sur le continent.

1. Le Soudan : un précédent historique dans l’accueil du terrorisme international

Sous le régime du président Omar el-Béchir (1989-2019), le Soudan a offert un soutien logistique, militaire et financier à divers groupes islamistes. Parmi eux figurent :

 • Al-Qaïda, dont Oussama ben Laden fut accueilli à Khartoum de 1991 à 1996 sous couvert d’investisseur.

 • La Jamaa Islamiya et le Jihad islamique égyptien, impliqués dans la tentative d’assassinat du président Hosni Moubarak à Addis-Abeba en 1995.

 • Le mouvement Hamas, bénéficiant de réseaux de financement soudanais malgré son inscription sur les listes terroristes américaines et européennes.

Les États-Unis ont inscrit le Soudan sur la liste des États soutenant le terrorisme en 1993, imposant un embargo économique sévère. En 1998, l’administration Clinton a frappé à l’aide de missiles de croisière l’usine pharmaceutique d’Al-Shifa, soupçonnée de produire des armes chimiques pour Al-Qaïda【U.S. State Department, Country Reports on Terrorism – Sudan Section, 1999-2019】.

Ce passé d’alliances idéologiques et logistiques entre le régime soudanais et les groupes djihadistes a contribué à façonner une culture de tolérance vis-à-vis du radicalisme, dont les effets persistent jusqu’à aujourd’hui.

2. La guerre actuelle et la résurgence du risque terroriste

Depuis 2023, la guerre entre l’armée et les FSR a désintégré les structures de sécurité intérieure. Dans ce vide stratégique, le pays devient un aimant pour les combattants étrangers et les groupes extrémistes en quête de zones d’implantation.

Les frontières du Soudan — partagées avec sept États (Égypte, Libye, Tchad, Centrafrique, Soudan du Sud, Éthiopie et Érythrée) — constituent des voies de transit idéales pour les mouvements jihadistes transnationaux tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ou encore Al-Shabaab en Somalie【ONU, Rapport du Conseil de sécurité sur le Soudan et le Soudan du Sud, 2024】.

La présence de quelque 9 000 mercenaires soudanais en Libye renforce ce risque : ces combattants, expérimentés et sans encadrement étatique, peuvent servir de relais pour les réseaux armés. De plus, la porosité des frontières permet aux groupes terroristes d’exploiter la guerre comme opportunité de mobilité et de recrutement.

3. Un terrain géographique et sociopolitique favorable

Le Soudan possède une vaste superficie (1,8 million de km²) marquée par des zones désertiques et montagneuses difficiles à contrôler. Cette configuration géographique, combinée à la désintégration des institutions de sécurité, offre un refuge idéal aux cellules terroristes.

Historiquement, les mouvements extrémistes prospèrent dans les contextes de chaos : la Somalie dans les années 1990, le nord du Mali en 2012, ou encore la Syrie après 2011. Le Soudan semble aujourd’hui suivre cette trajectoire. Le vide du pouvoir favorise non seulement la présence des groupes existants, mais attire aussi de nouvelles factions cherchant à établir des bases arrière dans la région du Darfour ou le Kordofan.

4. De l’État refuge à l’État exportateur du terrorisme

Sous le régime islamiste d’Omar el-Béchir, le Soudan a accueilli des combattants issus d’Égypte, de Libye, d’Algérie, du Nigeria, d’Irak et d’Afghanistan. Cette tradition d’accueil s’est transformée en réseau transnational durable. Aujourd’hui, les tensions internes pourraient de nouveau activer ces circuits clandestins.

Le Soudan risque ainsi de jouer un double rôle :

 • Refuge : en abritant les groupes fuyant la pression militaire dans le Sahel et la Corne de l’Afrique.

 • Exportateur : en servant de base logistique pour la planification d’opérations terroristes régionales.

Les implications dépassent le cadre africain : un renforcement des réseaux jihadistes soudanais pourrait influencer la sécurité de la Méditerranée et de l’Europe du Sud, notamment via les routes migratoires du Sahel.

Conclusion

La guerre civile soudanaise représente une menace multidimensionnelle : humanitaire, politique et sécuritaire. Au-delà de la déstabilisation interne, elle ouvre la voie à une reconfiguration du terrorisme africain, dont Khartoum pourrait devenir le centre névralgique.

L’inaction internationale accentue le risque de transformation du Soudan en un nouvel épicentre djihadiste comparable à l’Afghanistan des années 1990. Seule une intervention diplomatique concertée — menée par les Nations unies, l’Union africaine et les puissances régionales — peut encore prévenir cette dérive.

La restauration d’un gouvernement civil et la réforme du secteur de la sécurité constituent des priorités absolues pour éviter que le Soudan ne devienne le principal incubateur du terrorisme en Afrique et une menace directe pour la sécurité mondiale.

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