Les dessous de la diplomatie américaine en Afrique : les enjeux de la séduction de la Guinée équatoriale

Avr 9, 2024 | Afrique, Les rapports, politique

Les forces spéciales ont manifesté un intérêt particulier à renforcer les liens avec l’un des régimes les plus corrompus, le guinéen Teodoro Obliang.

La livraison d’aide par les forces des opérations spéciales à la nation côtière africaine de la Guinée équatoriale en février 2024 a suivi des visites du président paria du pays par les plus hauts responsables américains, révèle The Intercept, le 25 mars 2024
Pour être précis, il s’agirait d’un don de février de 24 000 dollars de fournitures, y compris du lait maternisé et des trousses de premiers secours à un pays où la plupart de la population vit avec moins de deux dollars par jour, mais où le président percevrait une valeur nette déclarée de 600 millions de dollars.

Cette initiative survient dans un contexte de géopolitique ouest-africaine en pleine ébullition . Du reste, un rapport du Pentagone de 2023 a clairement mentionné la Guinée équatoriale comme étant le site potentiel d’une future base militaire chinoise.

Ces dernières années, les responsables américains avait exprimé publiquement leur inquiétude quant à l’établissement par la Chine d’un poste naval en Afrique de l’Ouest. « La chose qui me préoccupe le plus est cette base militaire sur la côte atlantique, et là où ils ont le plus de traction pour cela aujourd’hui, c’est en Guinée équatoriale », s’était inquiété le général Stephen J. Townsend, alors chef d’AFRICOM, devant le Comité des services armés de la Chambre en mars 2022.

Et tout récemment, en mars 2024, le général Michael Langley, le commandant actuel d’AFRICOM, n’a-t-il pas averti le Comité des services armés du Sénat ? : « La Chine poursuit a la ferme intention d’installer une base navale sur la côte atlantique de l’Afrique. »

L’aide à la Guinée équatoriale s’inscrit assurément dans le scénario de la dernière chance , une véritable offensive de charme américaine visant à séduire le président du pays, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, un tyran au pouvoir depuis six décennies, alors que les États-Unis ont perdu presque toute influence dans le Sahel africain.

Pour autant cette initiative  » semble aller à l’encontre de chaque valeur que l’administration Biden professe publiquement en matière de démocratie, de droits de l’homme et de lutte contre la corruption », a déclaré Cameron Hudson, ancien analyste de l’Afrique à la CIA, qui officie depuis au sein du Center for Strategic and International Studies.

Et Cameron Hudson   de poursuivre : « L’administration fait tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir une empreinte militaire sur le continent. Et si nous n’avons pas déjà une empreinte, en créer une. Ainsi, établir ou approfondir des relations avec des régimes particulièrement odieux comme la équatoriale  Guinée  n’est pas exclu. »

Pour mémoire, le Pentagone a réduit la voilure militaire avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger à la suite de coups d’État et a freiné ses activités de lutte contre le terrorisme au Cameroun en raison des violations des droits de l’homme par l’armée du pays.

Et contre toute attente, en mars 2024, la junte au pouvoir au Niger, composée de plusieurs officiers formés par l’armée américaine, a annoncé qu’elle rompait un accord de coopération sécuritaire de longue date avec les États-Unis avec effet immédiat. » Étant entendu que la junte nigérienne formée par les États-Unis expulse les troupes américaines et la base de drones
L’État paria est invité, depuis 2019, à participer à l’Obangame Express d’AFRICOM, le plus grand exercice maritime multinational en Afrique de l’Ouest et centrale. AFRICOM a également mené une évaluation des capacités maritimes pour le pays en 2021.

La même année, lorsqu’un navire de la Marine des Etats-Unis a fait escale là-bas, un communiqué de presse américain appelait la Guinée équatoriale « un partenaire important des États-Unis. » La visite d’un autre navire en 2022 a incité le commandant de la Marine, Tim Rustico, à souligner la « grande opportunité de continuer à renforcer notre partenariat avec la Guinée équatoriale. »

Cameron Hudson du Center for Strategic and International Studies a déclaré : « La Guinée équatoriale semble ouvertement dire qu’elle est très encline à être vendue au plus offrant. Elle est très heureuse d’être courtisée par Washington et Pékin parce qu’elle occupe une place stratégique dans le monde et détient une ressource stratégique et elle a l’argent pour lui permettre une indépendance que d’autres pays de la région n’ont pas. »

« La Guinée équatoriale est très encline à être vendue au plus offrant. » Après des élections présidentielles truquées en 2022 — lors desquelles Obiang a remporté 95 % des voix — Molly Phee, Secrétaire d’État adjointe aux affaires africaines, a écrit une lettre au président réélu. Postée sur X par un responsable du gouvernement équatoguinéen, la lettre montre que Molly Phee a accueilli favorablement une « collaboration étroite » dans laquelle leurs pays « agiraient ensemble » et saisiraient « les opportunités de renforcer » et « d’améliorer notre sécurité mutuelle. »

Le président Biden est critiqué pour son engagement envers la Guinée équatoriale, ce qui est vu comme contradictoire avec sa politique étrangère axée sur la démocratie et les droits de l’homme. Les experts estiment que cette incohérence sape la crédibilité des États-Unis en Afrique. Selon eux, déclarer publiquement ces valeurs tout en agissant différemment envoie un message troublant selon lequel les principes américains sont négociables.

Olivier d’Auzon
Share This