L’Art de la Zone Grise : L’Évolution des Tactiques Maritimes Chinoises en Mer de Chine

Déc 17, 2024 | Les rapports, Terrorisme et extrémisme

Les tactiques maritimes de « zone grise » de la Chine représentent une approche stratégique de plus en plus sophistiquée qui permet au pays d’affirmer son contrôle et d’étendre son influence en mer tout en évitant le recours direct à la force militaire.

Ces tactiques se déploient dans un espace ambigu, entre la paix et le conflit, où la Chine utilise une combinaison de moyens non militaires et quasi-militaires pour exercer une pression sur ses voisins tout en minimisant le risque d’escalade vers un conflit ouvert. En analysant l’évolution de ces tactiques, on peut observer plusieurs axes clefs qui façonnent cette stratégie maritime complexe.

L’essor de la milice maritime : un instrument de pression indirecte
L’un des éléments centraux de la stratégie de zone grise de la Chine réside dans l’utilisation croissante de sa milice maritime. Composée de navires de pêche, souvent subventionnés et équipés pour des missions à double usage, ces navires jouent un rôle crucial dans l’affirmation des revendications territoriales de la Chine, notamment en mer de Chine méridionale.

La milice maritime agit comme un levier indirect pour la Chine : elle permet à l’État chinois d’affirmer sa présence dans les zones disputées tout en évitant de recourir à des forces militaires directes. En 2016, la Cour permanente d’arbitrage a invalidé les revendications de Pékin en mer de Chine méridionale, mais la Chine a continué à déployer sa milice, intensifiant ainsi les tensions sans franchir le seuil de l’agression militaire.

Les tactiques employées par ces navires sont souvent qualifiées de « swarming » (attroupement) : des centaines de navires convergent dans des zones contestées, perturbant les activités des autres États et compliquant la surveillance et l’application des lois maritimes.

Ces actions créent une pression constante sur les pays voisins, en particulier ceux de l’Asie du Sud-Est, qui se retrouvent pris dans un jeu de pouvoir asymétrique.

Le rôle des garde-côtes chinois : une force stratégique pour projeter le pouvoir
Au-delà de la milice maritime, la Chine a renforcé les capacités de ses garde-côtes, qui constituent désormais la plus grande force de ce type au monde. La réforme législative de 2021, qui a octroyé à la garde-côte chinoise le pouvoir d’utiliser la force pour protéger les revendications territoriales, a renforcé son rôle stratégique. En escortant les navires de la milice et en exerçant une pression sur les flottes de pêche étrangères, les garde-côtes agissent en tant qu’acteur clé dans l’affirmation de la souveraineté chinoise sans recourir directement à des moyens militaires plus lourds.

Les navires des garde-côtes se livrent souvent à des pratiques d’intimidation, telles que les manœuvres de ramming (collision) contre des navires étrangers. Ce genre d’incidents, bien que ne constituant pas une guerre ouverte, comporte un risque d’escalade, car ils peuvent entraîner des erreurs de calcul, notamment avec des puissances extérieures comme les États-Unis ou le Japon, qui sont souvent appelés à défendre leurs alliés régionaux. Cette tactique, bien que risquée, montre la capacité de la Chine à maintenir une présence permanente et à projeter son pouvoir en dehors des limites de la guerre conventionnelle.

Les îles artificielles : des bases avancées pour l’expansion de la Chine
La militarisation des îles artificielles en mer de Chine méridionale est assurément une des caractéristiques de la stratégie maritime de la Chine. En transformant des récifs et des zones maritimes contestées en bases militaires permanentes, Pékin a considérablement étendu sa capacité à projeter de la puissance en mer, notamment en déployant des pistes d’atterrissage, des radars et des missiles. Ces infrastructures, qui servent de hubs logistiques pour les activités de la milice et des garde-côtes, permettent à la Chine de renforcer sa présence dans des zones stratégiques.

Cette militarisation va bien au-delà de la simple occupation physique ; elle a pour objectif de renforcer les revendications territoriales de la Chine, en particulier en mer de Chine méridionale, une voie maritime clé pour le commerce mondial. Les bases permanentes sur ces îles offrent également une certaine forme de légitimité à la Chine en tant qu' »occupant effectif », une notion utilisée dans le droit international pour justifier les revendications territoriales.

Les tactiques juridiques et diplomatiques : contourner le droit international
Tout au long de son ascension en mer de Chine méridionale, la Chine a su jouer habilement avec les règles du droit international. L’un des aspects les plus marquants de sa stratégie est l’utilisation sélective de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), qu’elle interprète à sa manière pour justifier ses revendications.

La Chine a notamment soutenu la validité de la « ligne des neuf traits », une délimitation maritime qui englobe une grande partie de la mer de Chine méridionale, malgré la décision de 2016 de la Cour permanente d’arbitrage qui a rejeté cette revendication.

Pékin rejette également les mécanismes internationaux de règlement des différends, favorisant les négociations bilatérales où il détient un pouvoir de négociation bien plus important.
En refusant d’accepter les décisions judiciaires internationales, la Chine affaiblit les efforts collectifs de la communauté internationale pour maintenir la stabilité en Asie-Pacifique, ce qui complique la gestion des différends maritimes dans la région.

Les implications régionales et mondiales : un jeu stratégique complexe
Les tactiques de zone grise de la Chine ont des conséquences profondes pour la sécurité régionale et mondiale. En Asie du Sud-Est, ces actions ont exacerbé les tensions et mis à mal la souveraineté des pays voisins, en particulier le Vietnam, les Philippines et la Malaisie, qui se retrouvent dans une position de faiblesse face à la puissance maritime chinoise.

Ce processus d’usurpation subtile des droits maritimes est perçu comme une manière de déstabiliser l’ordre régional en favorisant un modèle de gouvernance basé sur la domination plutôt que sur le respect des règles établies.

Au niveau mondial, ces tactiques présentent également des risques pour le commerce international. La mer de Chine méridionale est l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde, et tout conflit ou intensification des tensions dans cette région pourrait perturber des chaînes d’approvisionnement cruciales pour l’économie mondiale.

En outre, la Chine, en opérant en dehors des limites de la guerre conventionnelle, complique la tâche des puissances extérieures comme les États-Unis, le Japon ou l’Australie, qui sont engagées dans des alliances avec les pays de la région.

Réponses internationales : une stratégie de résilience collective
Face à ces tactiques de zone grise, les États-Unis et leurs alliés régionaux cherchent à renforcer leur présence en mer de Chine méridionale à travers des patrouilles conjointes, des exercices militaires et le renforcement des capacités de défense des pays partenaires. Cependant, la gestion de cette « zone grise » reste délicate, car une réponse trop ferme pourrait entraîner une escalade du conflit, tandis qu’une réponse trop timide risquerait d’encourager la Chine à poursuivre ses manœuvres.

En conclusion, l’évolution des tactiques maritimes de zone grise de la Chine représente un défi stratégique majeur pour la région indo-pacifique et au-delà.

En combinant des moyens militaires et non militaires, la Chine a créé une situation où elle peut tester et étendre son influence tout en évitant le recours à une confrontation directe. Cette approche, bien que subtile, témoigne de la manière dont la Chine adapte ses stratégies pour renforcer son pouvoir maritime tout en restant dans les limites de l’ambiguïté stratégique.

Olivier d’Auzon
Mots clés :#Asie | Chine | États-Unis
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