La Centrafrique : le retour de l’instabilité générale après les éléctions présidentielle et législatives du 27 décembre 2020

Fév 6, 2021 | Afrique, Les rapports

Ousmane KEITA, Doctorant à l’Institut de Pédagogie Universitaire (IPU)

Le conflit centrafricain qui avait opposé la Séléka[1] au mouvement anti-balaka[2], a créé une violence généralisée sur toute l’étendue du territoire national. En s’emparant du pouvoir, La Séléka avait pris le contrôle d’un nombre important des régions du pays. Ce qui a suscité l’émergence des milices ayant pour cibles les personnes de religion musulmane.

Devenu président, Michel Djotodia, chef de la Séléka, a été contraint de prononcer, le 14 septembre 2013, la dissolution de la Séléka après une série d’exactions. Il n’est pas tout de même parvenu á se maintenir au pouvoir. En effet, les chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) réunis, le 09 janvier 2014, à N’Djamena sur l’initiative d’Idriss Deby, ont intimé  à Djotodia et à son Premier ministre Nicolas Tiangaye de céder le pouvoir á un organe de transition dirigé par une personnalité consensuelle[3].

Catherine Samba-Panza est, ainsi, désignée présidente de transition le 20 janvier de la même année. Un des objectifs assignés á la transition est l’organisation des élections générales.  Faustin Archange Touadéra a été élu à l’issue de celles-ci.

Toutefois, il ne demeure pas mois qu’en dépit de l’organisation des élections générales, la présence des forces étrangères, notamment les casques bleus et la force française, les violences continuent. Le premier mandat de Faustin Archange Touadéra a été marquée par une instabilité et une généralisation de la violence au point que beaucoup d’observateurs doutaient de l’organisation des élections présidentielle et législatives du 27 décembre 2020. Relu à l’issue de la présidentielle, Faustin Archange Touadéra  fait  face à d’énormes défis dont la crise post-électorale,  qui a pris une dimension dramatique[4].  En effet, après la proclamation des résultats six (6) groupes armés se sont alliés pour former la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) et ont lancé une offensive sur la capitale.

On pourrait s’interroger à travers tous ces événements, si le même scénario utilisé par les groupes armés dans l’histoire de la conquête du pouvoir centrafricain ne se répète pas.

Pourquoi les opposants centrafricains contestent les élections en dehors de la voie juridictionnelle pour recourir à la violence ?

Les liens avec les crises précédentes :

En décembre 2012, une coalition rassemblant plusieurs mouvements armés attaquaient les villes nord centrafricaines, dans le dessein de prendre le contrôle de la capitale, Bangui. Ces groupes politico-militaires hétérogènes dont certains avaient négocié les accords de cessez-le-feu ou de paix signés avec le Général Bozizé, étaient tirés par des hommes politiques, qui profitaient des ressources générées par l’instabilité.

La Séléka a bénéficié du soutien du Tchad, alors que ce dernier était un allié de taille de Bozizé au moment de son arrivé au pouvoir en 2003[5].  La Centrafrique présentait, en 2012, le visage d’un pays où les puissances régionales tentaient de faire valoir leurs intérêts :  l’Afrique du Sud allié du gouvernement de Bozizé et le Tchad allié du groupe rebelle de Séléka.

La crise post-électorale de 2020 :

La violence caractérise toutes les périodes électorales en Centrafrique[6].  Formation de coalitions de manière à changer le rapport des forces, quête d’un soutien de l’extérieur marquent les moments électoraux.

En illustration une dizaine de candidats regroupés dans la coalition de l’opposition démocratique (COD-2020), demandaient l’annulation de la présidentielle pour cause d’insécurité et de fraudes. Le porte-parole de l’opposition a annoncé : « un tiers des électeurs n’ont pas participé au scrutin ce qui rendait l’élection non inclusive ». Aussi, une grande partie de la communauté musulmane se trouve réfugié à l’extérieur du pays, alors que celle-ci constitue des électeurs potentiels. Les partisans du président réélu rejettent les allégations de l’opposition, en les considérant comme une faiblesse.

La contestation armée semble être érigée en norme, alors que l’orthodoxie démocratique préconise de recourir à la voie juridictionnelle pour le règlement des différends nés des élections.

Par ailleurs la légitimité de l’autorité issue de ce processus pose problème, vue que tous les observateurs sont d’accord du manque de crédibilité de l’élection de 2020.

Si en 2003[7] les rebelles ont pu, avec le soutien du Tchad, prendre le contrôle de Bangui en renversant le régime d’alors, en 2020 les forces étrangères ont empêché l’avancé de la coalition vers Bangui. Tout de même, la contestation donne à voir á quel point les règles démocratiques ne font pas consensus en Centrafrique.

Conclusion : la crise post-électorale de la Centrafrique en 2020, était le prolongement d’une instabilité qui remonte depuis les premières ères de la démocratie.

Il importe de considérer que la dernière élection présidentielle a été organisée à un moment où les tensions sociales étaient tendues entre les groupes sociaux. Dans certains pays africains[8], notamment la Centrafrique, la contestation violente des élections est préférée au recours juridictionnel.

[1] Un groupe rebelle qui avait accédé au pouvoir á la suite d’un coup d’état le 24 mars 2013

[2] Une milice d’auto-défense chrétienne qui s’en prenait aux communautés musulmanes

[3] Mayneri, Andrea Ceriana. « La Centrafrique, de la rébellion Séléka aux groupes anti-balaka (2012-2014): Usages de la violence, schème persécutif et traitement médiatique du conflit. » Politique africaine 2 (2014): 179-193.

[4] https://www.lepoint.fr/afrique/la-centrafrique-sur-un-volcan-22-01-2021-2410772_3826.php

[5] M. Debos, « Quand les “libérateurs” deviennent des “bandits”. Guerre et marginalisation sociale à la frontière tchado-centrafricaine », in R. Bazenguissa-Ganga et S. Makki (dir.), Sociétés en guerre. Ethnographie des mobilisations violentes, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2012, p. 93-110.

[6] https://www.bbc.com/afrique/region-55491217

[7] Laloupo, Francis. « Coup d’État réussi en Centrafrique. » Géopolitique africaine 11 (2003) : 141-149.

[8] Lafargue, Jérôme. Contestations démocratiques en Afrique : sociologie de la protestation au Kenya et en Zambie. Vol. 8. KARTHALA Editions, 1996.

 

Mots clés :Centrafrique | Keïta | Mali | Tchad | Violence
Share This