Guerre en Ukraine : les dessous du recrutement de combattants syriens

Avr 13, 2022 | Études, Les rapports

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a décidé de recruter des étrangers tout en créant une «légion internationale» pour ces derniers. La partie russe n’a pas non plus hésité à recruter des étrangers. Des médiateurs à la capitale syrienne, Damas, et d’autres régions ont commencé à signer des contrats avec de jeunes syriens pour combattre aux côtés de l’armée russe en Ukraine, tandis que des médiateurs de l’opposition syrienne œuvrent en Turquie à recruter des Syriens aussi pour combattre aux côtés de l’armée ukrainienne.

L’implication des Syriens dans la guerre ukrainienne a attiré l’attention internationale sur l’un des nouveaux faits triste de la Syrie : toute guerre dans laquelle la Russie ou la Turquie sont impliquées est susceptible d’impliquer des « mercenaires » syriens. Les combattants pro-régimes et les opposants syriens se sont battus sous les bannières turque et russe en Libye depuis fin 2019 et au karabagh en 2020.

Recrutement de combattants syriens par la Russie

Poutine a soutenu les plans visant à permettre aux volontaires- y compris les étrangers- de combattre en Ukraine. Lors d’une réunion du Conseil de sécurité russe, tenu le 11 mars 2022, il a déclaré que si des personnes du Moyen-Orient voulaient venir en Ukraine par leurs propres moyens, et pas pour de l’argent, la Russie doit les aider à « entrer dans la zone du conflit ». Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a fait savoir que plus de 16.000 personnes, pour la plupart des volontaires des pays du Moyen-Orient, avaient demandé à participer à la guerre, tandis que le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a confirmé aux journalistes que le ministre russe de la Défense avait souligné que «la plupart des personnes qui veulent participer à la guerre, ce sont des citoyens de pays du Moyen-Orient et des Syriens ».

Le 13 mars 2022, les services de renseignement ukrainiens ont affirmé que la Russie avait ouvert 14 centres de recrutement de mercenaires en Syrie (Damas, Alep, Hama, Raqqa et Deir ez-Zor). Après une courte instruction, les mercenaires seront transportés en Russie via la base aérienne de Hmeimim par deux Tu-134 (jusqu’à 80 passagers) et un Tu-154 (jusqu’à 180 passagers) vers la base aérienne de Chkalovsky à Moscou.

Dans le même sens, l’état-major ukrainien a déclaré que la Russie avait rassemblé environ un millier de combattants des unités opérant sous le commandement du régime de Bachar al-Assad en Syrie, afin de combattre en Ukraine. L’Observatoire syrien des droits de l’homme avait annoncé le 15 mars 2022 que la Russie avait préparé des listes de plus de 40.000 combattants qui font partie des forces du régime syrien et des groupes pro-régimes, pour être prêts à combattre aux côtés de l’armée russe en Ukraine.

A ce propos, le directeur de l’Observatoire syrien, Rami Abdel Rahman, a déclaré à l’AFP que les recrues sont issus de la « 25e division des forces de la mission spéciale », dirigée par le général de brigade Suhail al-Hassan, surnommé le Tigre, et 5è division créée par les Russes, et la Brigade Al-Qods, un groupe palestinien allié au régime syrien qui a combattu, notamment dans la région d’Alep dans le nord du pays.

Alors que des rapports indiquent que les combattants de la Défense nationale et la 5è division avaient déjà signé des contrats, et que (300 à 600) dollars seraient payés pour le déploiement. Aussi, BBC News Arabic a appris le 30 mars 2022 que certains combattants syriens recevaient environ 7.000 dollars pour combattre en première ligne dans la guerre russe contre l’Ukraine.
Le transfert de Syriens vers la Russie a concerné également les mercenaires syriens en Libye. En effet, un rapport publié par l’organisation « Syriens pour la vérité et la justice » fait état du début des transferts de combattants syriens de la Libye vers la Russie, précisant que cette opération était menée par le « Wagner » société de sécurité connue sous le nom d’«Armée secrète de Poutine». Cette société a auparavant transporté des centaines de Syriens depuis les zones sous contrôle du régime d’Assad, afin de combattre en Libye aux côtés des forces du maréchal Khalifa Haftar.

Outre les opérations de recrutement et de mobilisation, les rapports de renseignement indiquent que des combattants syriens ont déjà commencé à arriver en Russie, comme l’ont confirmé les renseignements militaires ukrainiens en réponse à Reuters le 20 mars 2022. 150 « mercenaires » ont été envoyés depuis la base aérienne russe de Hmeimeen en Syrie à la Russie pour participer aux opérations militaires contre l’Ukraine. Les services de Kiev ont déclaré que plus de (30) combattants sont revenus à Hamimin depuis la Russie après avoir subi des blessures lors d’un combat contre l’armée ukrainienne.
Le New York Times qui a cité un diplomate occidental a confirmé le 30 avril 2022 l’arrivée d’un contingent de mercenaires syriens en Russie pour recevoir une instruction militaire avant de se rendre en Ukraine pour participer à l’invasion russe, ce contingent comprend pas moins de (300) de soldats d’une division de l’armée Al-Suri qui combattaient auparavant avec les forces russes en Syrie.

D’autre part, un responsable au sein du régime syrien a démenti les allégations du groupe militant « Syriens pour la vérité et la justice » selon lesquelles le groupe Wagner et sa société partenaire en Syrie auraient transporté des volontaires de Benghazi et de Libye à Damas puis en Russie. La conseillère du président syrien Bachar al-Assad, Luna al-Shibl, a également confirmé à « BBC Arab » que le régime ne soutient pas ces efforts.

En fait, 14 centres de recrutement existent depuis de nombreuses années et sont utilisés pour recruter des syriens dans des unités soutenues par la Russie à l’intérieur de la Syrie et pour un déploiement en Libye. L’existence de ces centres et la signature continue de contrats par les syriens ne prouvent pas que la Russie se prépare à envoyer des mercenaires syriens en Ukraine.

Rôle militaire des Syriens au sein de l’armée russe

Aucune preuve ne confirme encore que des mercenaires syriens combattent sur les lignes de front face à l’Ukraine. Le général de la marine américaine Frank McKenzie, chef du Commandement central, qui supervise les forces américaines au Moyen-Orient, a déclaré lors d’une audience au Sénat le 15 mars 2022 que le nombre de syriens essayant de se rendre en Ukraine semblait « faible ». « Nous pensons qu’il peut y avoir de -petits ou très petits groupes- de Syrie essayant de se rendre en Ukraine », a-t-il dit.

La difficulté logistique de les transporter sur le champ de bataille pourrait en être une des raisons, selon des experts militaires : Moscou devra d’abord transférer des combattants de différentes régions à l’intérieur de la Syrie vers sa base aérienne militaire de « Hmeimim » en Lattaquié. Puis ces combattants seront transportés par avion en Russie avant d’être déployés en Ukraine. Ces mercenaires sont généralement utilisés comme soldats d’infanterie, Moscou devra donc en déplacer un grand nombre pour avoir un impact militaire significatif sur le champ de bataille.

Mais la difficulté de transporter des centaines de combattants n’est pas la seule raison du faible déploiement. Malgré l’ampleur de son opération militaire en Ukraine. La Russie a encore d’énormes ressources à utiliser contre son voisin. Moscou peut être encore sceptique quant à l’intérêt à tirer de l’utilisation de Syriens en Ukraine.

Alors que la Russie s’est toujours appuyée sur des mercenaires syriens dans une guerre par procuration comme en Libye, Moscou utilise largement ses forces en Ukraine. Cela signifie que la Russie n’a pas désespérément besoin de soldats sur le terrain, si ce n’est pour compenser les dommages politiques intérieurs infligés à Poutine par les pertes russes. Moscou a déjà ramené des troupes de Tchétchénie, dirigées par Ramzan Kadyrov, allié de Poutine.

En outre, les mercenaires syriens ne sont pas une force d’élite, ils manquent de discipline, ils ne connaissent pas non plus le terrain en Ukraine et ne parlent pas la langue russe pour une coordination rapide avec les forces russes. Aussi, le déploiement de mercenaires étrangers ternira davantage la réputation des forces russes et approfondira le fossé avec l’Occident.

Mercenaires syriens combattant la Russie

En Syrie, des combattants sont également recrutés dans des zones encore contrôlées par des factions combattantes et des groupes djihadistes opposés au régime syrien, pour combattre aux côtés des forces ukrainiennes. Un chef et des combattants a indiqué à l’AFP que des recrutements ont eu lieu, notamment dans les rangs des divisions « Sultan Murad », « Sulaiman Shah » et « Al-Hamza », qui ont toutes envoyé des centaines de combattants en Libye et au Haut-Karabakh.

Des sources ont cité, par Sky news, ont évoqué des activités suspectes en cours et des moyens fournis pour se rendre en Ukraine et combattre contre la Russie. Les personnes ciblées pour le recrutement, selon les informations, sont des éléments arrivés en Libye parmi les combattants de factions terroristes syriennes.

La Russie a accusé les États-Unis d’avoir entraîné des «terroristes» sur la base d’Al-Tanf en Syrie, qui appartiennent à «l’Armée des commandos révolutionnaires» afin de les envoyer en Ukraine via la Pologne pour combattre les forces russes.
Le 23 mars 2022, l’organisation « Syriens pour la justice » a rendu publics de nouveaux détails sur la participation des Syriens à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, confirmant que plusieurs factions, notamment la « Division Sultan Murad », dirigée par Fahim Issa, ont inscrit les noms de centaines de combattants prêts à se battre en Ukraine. L’organisation a indiqué dans son rapport citant un leader de l’opposition dans les rangs de « l’Armée nationale » soutenue par la Turquie, l’enrôlement d’environ 900 à 1000 noms avec une grande expérience de combat, évoquant un besoin d’environ 1300 combattants actuellement, qui seront divisés en groupes, chaque contingent comprendra 210 combattants à transférer plus tard. On parle de salaires moyens variant entre 1.200 USD par mois, dans le cadre de contrats de six mois.

La même source a révélé que ces démarches ont été effectuées sans obtenir l’approbation finale de la Turquie pour commencer les transferts, car il n’y a pas de vols actuellement. Aucun calendrier exacte pour le transfert des combattants, car il n’y a toujours pas d’approbation finale ou refus du côté turc. L’affaire est toujours en suspens et encore en discussions. Des pays européens comptent prendre en charge la mission de transporter des combattants sous la supervision turque, selon la même source.

Recrutement de combattants syriens, motifs et raisons

La Russie veut recruter des Syriens pour arriver à ses fins, en termes de grande expérience de combat que ces combattants ont acquise à la suite des guerres précédentes.
La Russie tente d’adopter une politique similaire à celle adoptée par l’Ukraine, à savoir la participation de combattants étrangers pour repousser l’invasion russe.

De plus, les estimations militaires soulignent la volonté de la Russie de réduire les pertes parmi ses forces, en s’appuyant sur des «mercenaires» pour mener à bien des missions difficiles à l’approche des combats pour s’engager dans des affrontements plus directs (guerre de rue).

D’autre part, la guerre syrienne a laissé l’économie en état lamentable, d’où les combattants ayant perfectionné leurs compétences pendant une guerre de onze ans ne peuvent pas trouver de travail chez eux alors ils choisissent de devenir des mercenaires, se battant pour des pays étrangers pour gagner leur vie.

Du côté officiel syrien, Assad renvoie l’ascenseur à Poutine pour l’avoir soutenu en envoyant son armée en Ukraine.
En revanche, quant aux motivations des combattants syriens du côté de l’Ukraine, ils accusent la Russie de la destruction de leur pays, désireux de trouver un autre champ de bataille pour combattre les Russes. Même si c’est sur le sol de son voisin, l’Ukraine.

Évaluation

La Syrie est le plus grand bassin de combattants étrangers expérimentés que la Russie peut exploiter pour former rapidement une puissance de combat supplémentaire. Le groupe comprend des syriens qui servent actuellement aux côtés de sociétés militaires privées russes telles que le groupe Wagner, ou au sein de milices syriennes soutenues par la Russie aussi des syriens ayant une expérience dans de telles unités qui peuvent être mobilisés.

Un éventuel déploiement syrien en Ukraine semble maintenant plus probable qu’au cours des premières semaines de l’invasion sur fond de la dimunition de l’avancée des forces russes face à la résistance ukrainienne. Mais il faut se méfier des rumeurs, car la plupart des rapports sur le recrutement russe en Syrie contiennent des demi-vérités. Malgrès que, certains Syriens semblent avoir signé des contrats pour combattre en Ukraine, rien ne garantit que ces combattants y seront effectivement envoyés. Si les Syriens sont envoyés, ce sera un nombre relativement restreint d’individus, pas des unités militaires complètes. Ils auraient peu ou pas d’effet sur le champ de bataille.

Loin de ce qui se passe en Ukraine, le manque d’opportunités financières et l’instabilité intérieure signifient que les jeunes syriens sont devenus une marchandise à exporter vers les zones de guerre mondiales, une marchandise dont la Russie, la Turquie et l’Ukraine, continueront d’exploiter.

Il demeure recommandé que l’analyse de cette question se base sur son impact potentiel à l’intérieur de la Syrie. Plus la Russie envoie de combattants de ses principaux mandataires, plus le risque d’affaiblir sa position à l’intérieur de la Syrie que la Turquie, Daech et les groupes anti-Assad peuvent en profiter.

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