Guerre en Ukraine: Combattants tchétchènes, rôles et inquiétudes

Avr 8, 2022 | Études

Dès le début de l’invasion russe de l’Ukraine, des combattants étrangers ont été engagés en première ligne sur le front, que ce soit dans les rangs des forces russes ou ukrainiennes.

L’Ukraine a été le premier pays à annoncer le recrutement de combattants étrangers au sein de l’armée. Le président Volodymyr Zelensky a lancé un appel transfrontalier et intercontinental pour défendre l’Ukraine et faire face à « l’envahisseur » russe.

Dès le début, les médias et les services du renseignement se sont concentrés sur les combattants affiliés à l’extrême droite. Moins d’attention a été accordée à la participation d’acteurs déjà considérés comme étrangers au conflit. Parmi eux se trouvent des combattants de Tchétchénie qui sont désormais recrutés des deux côtés. Cet article tente de décortiquer le double rôle de ces combattants et les inquiétudes découlant de leurs activités.

Des combattants tchétchènes aux côtés de la Russie

Dès que la Russie a annoncé le lancement de son opération militaire en Ukraine, le président tchétchène « Ramzan Kadyrov », principal allié de Poutine dans la région, s’est précipité à envoyer des forces spéciales en Ukraine. Il n’a cessé de parler des réalisations de ses hommes, notamment son annonce le 3 mars 2022 de l’occupation par ses forces d’une importante base militaire qui appartenait aux « nationalistes ukrainiens ». Le 13 mars 2022, Kadyrov a annoncé qu’il se trouvait à quelques kilomètres de Kiev, et le lendemain, il a posté une vidéo sur son compte Twitter affirmant qu’il se trouvait dans un sous-sol à l’intérieur de Kiev où il envisage avec ses forces de prendre le contrôle de la capitale.

Le nombre de combattants tchétchènes déployés en Ukraine n’est pas pas toujours connu exactement, mais certains articles de presse parlaient de 10.000 combattants, a révélé « BBC » le 5 mars 2022. Alors que Kadyrov a confirmé le 17 mars 2022 qu’un millier de volontaires tchétchènes sont sur le point de rejoindre les rangs des forces russes vers l’Ukraine.

Bien que le nombre de forces tchétchènes ne soit pas clair, Moscou devrait utiliser les forces tchétchènes dans des combats susceptibles d’accompagner la prise de Kiev ou d’autres villes. Des rapports indiquent que les forces tchétchènes sont engagées dans des batailles féroces dans les villes stratégiques de la côte ukrainienne, alors que les forces russes, avec l’aide des forces de Kadyrov, ont réussi à s’emparer du port de Marioupol le 18 mars 2022, comme annoncé par le ministère de la Défense ukrainienne.

Pourquoi Poutine a-t-il recruté des Tchétchènes malgré son effectif militaire important ?

Dans un rapport publié par le magazine américain « Foreign Policy » le 26 février 2022, sur les raisons du déploiement des forces tchétchènes en Ukraine, le journal affirme que Moscou tente de « terroriser » Kiev avec des images de soldats tchétchènes déployés sur son territoire. Le rapport affirme que « la Russie exploite les stéréotypes de la brutalité tchétchène pour l’utiliser comme une arme psychologique contre les Ukrainiens et forcer Kiev à se rendre.
Le 18 mars 2022, le journal américain « The Wall Street Journal » a indiqué que «Kadyrov et Poutine échangent ont des intérêts communs en déployant des forces tchétchènes en Ukraine, en soutenant Poutine, Kadyrov envoie un message aux tchétchènes et à ses opposants qu’il est allié à l’État russe, et leur rappeler qu’il a la force de les combattre pour les dissuader au cas d’une rébellion .

D’autre part, (85%) du budget de la République tchétchène provient du gouvernement russe. Cette quasi-dépendance vis-à-vis du Kremlin pour obtenir de l’argent en retour a largement assuré la paix en Tchétchénie. Alors pour que Kadyrov obtienne une certaine complaisance de la part de Poutine, il devait constamment prouver sa loyauté en remplissant avec succès les tâches qui lui confies, selon l’Institut italien d’études politiques internationales.

Bataillons tchétchènes combattant les forces russes

La présence tchétchène dans la guerre d’Ukraine ne s’est pas limitée à Kadyrov et à ses hommes de l’armée pro-Moscou. De l’autre côté de la scène, d’autres combattants tchétchènes sont apparus en Ukraine, qui n’ont pas pardonné à Kadyrov d’avoir soutenu Moscou en 1999-2000 et d’avoir ignoré leurs revendication d’indépendance de la Russie. Ils ont trouvé dans la guerre sur le territoire de l’Ukraine l’occasion de se battre contre la Russie, qu’ils considèrent comme leur ennemi numéro un.

Deux jours après l’invasion russe, le leader tchétchène anti-russe Ahmed Zakayev -ancien vice-Premier ministre du gouvernement tchétchène d’Itchkérie, avant de diriger le gouvernement en exil pendant plusieurs années- s’est précipité à appeler des combattants tchétchènes de toute l’Europe à se rendre combattre pour l’Ukraine et repousser l’invasion russe.

Du côté ukrainien, on trouve actuellement deux bataillons, composés en grande partie des anciens combattants de la guerre tchétchène. Tous les deux sont actifs depuis 2014. Il s’agit de (300 à 500) Tchétchènes combattant aux côtés des Ukrainiens, il est difficile de vérifier les chiffres actuels, selon le site « nationalia » (10 mars 2022). Ces deux bataillons sont:

• Bataillon « Cheikh Mansour »

Le bataillon porte le nom de l’imam Mansur al-Shishani, qui a dirigé la résistance contre les forces russes dans le Caucase à la fin du XVIIIe siècle pendant neuf ans, avant d’être capturé et tué en prison.

Le bataillon comprend des combattants musulmans tchétchènes opposés à la Russie, qui s’étaient dispersés après que la Russie à renverser la République tchétchène et l’annexer à son territoire. Certains d’entre eux se sont rendus en Syrie pour y combattre les forces russes, puis ont décidé de rejoindre un bataillon de l’armée ukrainienne pour combattre les séparatistes dans l’est de l’Ukraine en 2014. Le nom du bataillon est apparu dans la récente guerre après un clip vidéo de ses membres combattant les forces russes aux frontières de la capitale ukrainienne.

Ce bataillon islamiste a provoqué une évolution surprenante dans les relations entre les groupes d’extrême droite et l’islamophobie : la brigade de Cheikh Mansour a noué une alliance inattendue avec Right Sector, un mouvement paramilitaire ukrainien d’extrême droite. Il combat également aux côtés de la Brigade Azov, une force pro-Kiev adepte d’idées néonazies alors qu’ailleurs en Europe les islamistes et les nazis sont des ennemis, mais la guerre en Ukraine et la haine commune de la Russie ont donné naissance à une alliance entre eux.

« Nous avons de très bonnes relations avec les bataillons volontaires ukrainiens, nous combattons ensemble sur le front, nous ne nous disputons jamais sur la race ou la religion », a déclaré le commandant du bataillon, « Muslim Chipperlov », dans une interview à « VICE », un site Internet américain.

• Bataillon « Johar Dudayev »

Porte le nom du premier président de la Tchétchénie, assassiné en 1994. Le bataillon a été fondé par le commandant militaire tchétchène Isa Munayev, qui a combattu les Russes pendant la deuxième guerre tchétchène en 1999, et après le déclenchement des combats dans l’est de l’Ukraine, Munayev a formé le bataillon de centaines de volontaires sous ses ordres, mais il a été tué lors de l’une des batailles en 2015. Le bataillon est depuis dirigé par Adam Osmayev, un ukrainien d’origine tchétchène.

Le bataillon est actuellement engagé dans la lutte contre les forces russes. Le 27 février, le chef du bataillon Djokhar Dudayev, Adam Osmayev, a juré de se battre aux côtés de l’Ukraine : « Chers Ukrainiens, s’il vous plaît, ne considérez pas ces gens comme des Tchétchènes », a déclaré Osmayev, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux faisant allusion aux soldats de Kadyrov. « Ce sont des traîtres… des marionnettes aux mains de la Russie… les vrais Tchétchènes sont avec vous, ils saignent avec vous, comme ils l’ont fait ces huit dernières années».

Les gouvernements et les militaires trouvent souvent approprié de permettre aux groupes armés irréguliers de combattre au nom de leurs armées et ainsi de réduire le nombre officiel de victimes parmi leurs soldats réguliers pour aider à maintenir le soutien populaire à un conflit prolongé.

Selon la politique de « privatisation des guerres » et de « guerre par procuration » qui prévaut actuellement dans le monde, quant à la crise ukrainienne, les Tchétchènes des deux camps sont les principaux combattants pour effectuer des attaques dangereuses derrière les lignes ennemies lors des combats avec la Russie.

La guerre en Ukraine met à l’épreuve les affiliations des musulmans tchétchènes en Russie et à l’étranger également. D’anciens dossiers peuvent être rouverts, notamment la guerre russe dans le Caucase dans les années 1990. La présence militaire tchétchène peut provoquer une guerre de représailles en Ukraine entre deux groupes antagonistes de Tchétchènes, dont certains soutiennent le président Kadyrov tandis que l’autre s’y oppose, alors que les deux parties exploitent la crise ukrainienne pour régler des comptes et que la haine politique persiste entre eux.

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