Lors de son retour d’un sommet au Caire, le président turc Recep Tayyip Erdogan le 20 décembre 2024 a lancé un appel à une action immédiate contre les organisations terroristes opérant en Syrie, en visant directement le groupe État islamique (EI) et le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce dernier est considéré par la Turquie comme une organisation terroriste, tout comme ses branches affiliées, dont les Unités de Protection du Peuple (YPG), une force kurde opérant dans le nord de la Syrie.
Selon l’Agence France-Presse (AFP), Erdogan a déclaré : « Il est temps de neutraliser les organisations terroristes existant en Syrie », ajoutant que « Daech, le PKK et leurs associés, qui menacent la survie de la Syrie, doivent être éradiqués ».
Cet appel reflète la stratégie persistante d’Ankara visant à consolider son influence régionale tout en répondant à ses préoccupations sécuritaires. En désignant explicitement le groupe État islamique (EI) et le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), Erdogan réaffirme la position intransigeante de la Turquie envers les forces kurdes, particulièrement les Unités de Protection du Peuple (YPG), qu’Ankara considère comme une extension du PKK. Ce discours s’inscrit dans une longue série de déclarations visant à légitimer les interventions turques dans le nord de la Syrie.
Une stratégie sécuritaire au cœur des préoccupations d’Ankara
La Turquie justifie ses actions en Syrie par la nécessité de protéger son intégrité territoriale et sa sécurité nationale. Le PKK, actif depuis les années 1980 dans une lutte armée contre l’État turc, est perçu comme une menace directe, tandis que les YPG, bien que combattants clés contre l’EI dans le cadre de la coalition internationale, sont systématiquement associés à ce mouvement par Ankara.
En multipliant les offensives militaires dans le nord de la Syrie depuis 2016, la Turquie cherche non seulement à repousser les YPG loin de ses frontières, mais également à empêcher l’émergence d’une entité kurde autonome qui pourrait inspirer des revendications similaires sur son propre territoire.
Une dimension géopolitique complexe
L’appel d’Erdogan intervient dans un contexte géopolitique marqué par des tensions persistantes entre les puissances régionales et internationales. Le sommet de l’Organisation de coopération économique D-8 au Caire a mis en lumière les divergences stratégiques entre la Turquie et l’Iran.
Historiquement opposés dans la guerre civile syrienne – Ankara soutenant les rebelles et Téhéran le régime de Bachar el-Assad –, les deux pays semblent néanmoins converger sur certains objectifs, notamment la préservation de l’intégrité territoriale syrienne, exprimée par Erdogan et son homologue iranien, Masoud Pezeshkian.
Pour autant, les positions demeurent fondamentalement divergentes. Si l’Iran plaide pour un renforcement du régime d’Assad et une limitation des influences étrangères en Syrie, la Turquie poursuit des intérêts qui incluent un rôle plus affirmé dans le nord syrien et un contrôle accru des zones frontalières. Ces ambitions exacerbent les tensions, notamment avec les alliés occidentaux de la Turquie, qui continuent de considérer les YPG comme un partenaire stratégique dans la lutte contre l’EI.
Les Kurdes, entre autonomie et pressions
Les Kurdes de Syrie, qui ont établi une autonomie de facto dans le nord-est du pays, se retrouvent pris au piège des rivalités entre acteurs régionaux.
Bien qu’ils aient joué un rôle central dans la défaite territoriale de l’EI, leur statut reste précaire. Les offensives turques répétées menacent leur autonomie, tandis que le régime syrien et ses alliés, notamment la Russie, semblent peu enclins à reconnaître leurs aspirations politiques.
La communauté kurde, longtemps marginalisée et réprimée, doit aujourd’hui faire face à une triple pression : celle de la Turquie, qui cherche à affaiblir les YPG ; celle du régime syrien, qui souhaite rétablir son contrôle sur tout le territoire ; et celle des dynamiques internationales, où les priorités stratégiques des puissances occidentales évoluent rapidement.
Une critique des interventions étrangères
Les déclarations de la ministre allemande des Affaires étrangères, Madame Annalena Baerbock, avant sa visite en Turquie, mettent en lumière une perspective européenne plus nuancée.
En insistant sur la nécessité de préserver l’intégrité territoriale syrienne et d’éviter que la Syrie ne devienne « le jouet de puissances étrangères », elle critique implicitement les interventions répétées des acteurs régionaux, y compris la Turquie.
Pour autant, l’Europe demeure en retrait face aux enjeux syriens, focalisant davantage ses efforts sur la gestion des réfugiés que sur une implication directe dans la reconstruction ou la résolution du conflit. Cette posture contribue à maintenir un déséquilibre où les puissances régionales dictent les termes des négociations et des affrontements.
Enjeux et perspectives
La situation en Syrie demeure un terrain complexe où les ambitions des différents acteurs s’entrechoquent. Pour la Turquie, la lutte contre le PKK et ses affiliés reste une priorité absolue, mais cette politique pourrait à terme isoler Ankara, notamment vis-à-vis de ses partenaires occidentaux. Les Kurdes, malgré leur rôle stratégique, risquent de voir leur marge de manœuvre se réduire encore davantage face aux pressions combinées de la Turquie, du régime syrien et de ses alliés