Elections libyennes, optimisme sceptique d’une expérience inédite

Déc 6, 2021 | Les rapports

Les électeurs libyens sont appelés aux urnes le 24 décembre prochain pour élire le premier président du pays depuis la chute de Kadhafi. Ce rendez-vous se veut une aubaine pour la Libye de se hisser en un Etat avec des éléments démocratiques, et de faire un pas vers la reconstruction de la l’Etat, la société et l’économie épuisée, à la lumière des conditions libyennes très complexes, qui rendent la scène électorale ouverte à toutes les possibilités.

Cet article tend à décortiquer les obstacles potentiels à la réussite du processus électoral mais aussi les scénarios possibles.

    I) Obstacles compliquant la scène électorale en Libye

Depuis le règne de Kadhafi, la société libyenne n’est pas impliquée dans la politique du pays, car Kadhafi a interdit toute forme de participation politique ou de constitution de la société civile et de partis politiques. Face à ce régime ultra-centralisé, le peuple n’avait aucun mot à dire, même au niveau local. Idem après la chute de Kadhafi. Le pays est entré dans des luttes de pouvoir, et les divisions géographiques ont exacerbé la scène, d’où ont émergé de nombreux obstacles qui encore constituent une source d’inquiétude pour la sortie vers un Etat démocratique. En voici les principaux obstacles :

Obstacles juridiques

Après l’échec du dialogue politique entre les belligérants libyens à s’entendre sur une base constitutionnelle régissant la tenue des élections, lors des réunions à Genève en Suisse entre le 28 juin et le 2 juillet, la Chambre des représentants libyenne a initié et a approuvé deux lois relatives aux élections présidentielles et parlementaires. Le Haut Conseil de l’Etat s’est opposé à ces lois et réclamé son droit de participer avec la Chambre des représentants à l’élaboration des lois électorales, comme le stipule l’accord politique. Par conséquent, il a promulgué une série de lois et l’a transférée à la Chambre des représentants, qui l’a rejetée, ce qui a exacerbé le conflit. Malgré cela, la divergence s’est ensuite atténuée entre les belligérants. Il ne s’agit plus de la forme de participation à la promulgation des lois, mais sur la loi elle-même, et ses conditions qui ne s’appliquent pas à certaines personnalités souhaitant se présenter aux élections. Notamment pour les titulaires de nationalités étrangères (exigeant que le candidat ne détienne pas une autre nationalité étrangère lors de sa candidature) ainsi que la date de démission des candidats en fonctions publiques pour se présenter aux élections (trois mois avant la date des élections), qui a été considérée comme une longue période. Il s’agit également de la loi sur l’adoption du système individuel dans le processus électoral et l’interdiction du système de liste de parti, et enfin la loi portant report de la date de la tenue des élections législatives jusqu’à trente jours après les élections présidentielles.

Le membre du Haut Conseil d’Etat et chef du comité de rédaction de la loi électorale du parlement, Fathallah al-Sariri estime que l’étape la plus importante est de parvenir à un consensus entre la Chambre des représentants et l’Etat sur les lois et leur promulgation et la réunion des conditions nécessaire à la tenue des élections, en coordination avec la Haute Commission électorale ainsi que la coordination sérieuse avec le Gouvernement d’union nationale.

Obstacles politiques :

Les élections tournent autour d’une question fondamentale, à savoir les résultats de ce scrutin seront-ils pris au sérieux ? Les démarches en cours seront-elles acceptées par les différentes parties à l’intérieur et à l’extérieur de la Libye des meilleurs cas s’il n’y aura pas de boycott ou de violence. Il y a un grand danger que les perdants ne reconnaissent pas les résultats !

Au niveau interne, chaque candidat s’emploie pour que les élections se déroulent dans des bonnes conditions avec un soutien interne qui augmentent ses chances de succès. Chaque candidat cherche à trouver des alliés sur la base des intérêts personnels et non de nationalisme, là où les chefs de certaines tribus de l’est et du sud se sont alliés contre les forces révolutionnaires et les politiciens qui sont concentrés en Occident ou y exilés.  Ils exigent un système politique qui ne tienne pas compte des proportions de la population dans la formation des institutions du gouvernement, car la population est dense à l’ouest, qui comprend la capitale, Tripoli.

Sur le plan externe, la rude compétition des personnalités pour la gouvernance nécessite la mobilisation de tous les appuis internes et externes, ce qui peut être une invitation pour les parties externes à intervenir dans les résultats du processus électoral. Cette compétition peut mener à tramer des complots dramatiques par les partis internationaux et régionaux pour s’assurer qu’un candidat qui leur est fidèle accède au pouvoir pour assurer le contrôle des ressources du pays.

Des difficultés surgissent si certains soupçonnent un échec lors des scrutins, ce qui pousse ces partis à pousser le plus grand nombre de milices à remplir illégalement la plupart des urnes.

Obstacles de candidats controversés sur la scène électorale

Depuis l’ouverture de la porte des candidatures aux élections, la scène libyenne continue de surprendre les observateurs, à travers les candidatures de :

Khalifa Haftar, Saif al-Islam Kadhafi, et Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants libyenne, d’où la question : sommes-nous confrontés à une compétition entre trois personnalités controversées pour accéder à la présidence ? La candidature de ces derniers exacerbe-t-telle la tension dans un contexte houleux. D’autant plus que ces personnalités sont considérées comme étant du camp opposé à la révolution libyenne, et qu’elles effraient aussi les groupes plus modérés, car ils considèrent Haftar comme un chef de guerre qui a contribué à l’escalade de la violence en Libye. Quant à Aguila Saleh, il était l’un des principaux auteurs de la déstabilisation de la Libye depuis 2014. Saif al-Islam est peut-être Kadhafi le moins dangereux, mais cela ne veut pas dire que son élection ne mènera pas à une réaction violente et peut-être dangereuse.

    II) Scénarios possibles

Les déclarations du Premier ministre libyen Abdelhamid al-Dabaiba selon lesquelles gouvernement attache la plus haute importance au succès des élections, à assurer la sécurité et la stabilité ne suffisent pas dans le contexte marqués par les défis suscités mais également les données disponibles. Les scénarios possibles se résument comme suit :

Le premier scénario: tenue des élections à la date prévue

C’est un scénario soutenu par toutes les parties extérieures, en particulier les Etats-Unis et l’Union européenne. L’objectif pour ces parties est la restauration de la stabilité.

La détermination de la communauté internationale pourrait barrer la route aux petits et grands États de la région qui pourraient s’ingérer pour les mettre en échec ce rendez-vous à travers la mobilisation de leurs milices en Libye.

Mais ce scénario sera pleinement achevé, si les lois détaillées régissant le processus électoral sont convenues, permettant le démantèlement du front du refus de tenir les élections, alors ceux qui rejettent les élections n’auront pas de justifications liées aux lois.

En cas d’incompatibilité, cela signifie la tenue de ces élections à la date prévue. Ce scénario implique la possibilité d’un large boycott des populations qui souhaitent la modification des articles des lois y afférentes.

Le deuxième scénario, le report des élections

Le report des élections présidentielles et parlementaires, notamment suite à l’incapacité à se mettre d’accord sur les lois, où la Libye ne peut pas être forcée à tenir des élections compte tenu du fait qu’il existe un groupe important qui s’oppose aux élections à la lumière de l’absence de quorum légal pour les règles électorales. Devant l’opinion publique internationale, cela met dans l’embarras les gouvernements qui ont soutenu ces élections au vu d’un manque de consensus, comme s’il s’agissait d’une imposition à laquelle le peuple libyen était contraint. En cas de violence, il sera difficile pour ces gouvernements de porter cette responsabilité morale devant leur peuple.

Le troisième scénario : annulation des élections et maintien du statu quo

Le processus électoral requiert une base de sécurité de toutes les parties concernées et de leurs soutiens politiques et claniques, dans la possibilité que des violences se produiront avant et après le déroulement de l’opération électorale, ce qui doit être pris en compte, surtout si les personnalités controversées continuent à la course électorale.

Certaines milices ont déjà attaqué certains sièges de permanences électorales et piraté le site-web de la Haute Commission électorale, avec des allusions répétées aux forces révolutionnaires sur le terrain, un terme qui peut être compris de plusieurs manières. Boycott massif des élections, que ce soit volontairement ou par le biais duquel les électeurs sont contraints de voter. Ce qui posera problème au vainqueur qui se retrouvera président sans voix et pourra n’avoir aucune autorité, par exemple, que sur l’est et le sud de la Libye.

 

Mots clés :Afrique | Elections | libye | Sécurité
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