Assaut de Daech contre la prison d’Hassaké: les cellules dormantes sont-elles en train de se réveiller ?

Fév 18, 2022 | Les rapports, Terrorisme

Des cellules de Daech ont mené, le 20 janvier 2022, une attaque inattendue contre la prison d’Al-Sinaa dans la province syrienne d’Hassaké. Plus de 200 combattants de Daech ont participé à cet assaut qui a duré six jours, dans le but de libérer près de 3.500 prisonniers de ses membres. Bien que les forces kurdes des FDS aient annoncé qu’elles avaient repris le contrôle total de la prison, après avoir encerclé les assaillants et les avoir forcés à se rendre. En effet, l’événement était d’envergure. Il s’agit de la première attaque aussi violente de Daech depuis sa chute, ce qui a suscité des craintes et soulevé des questions sur les capacités de Daech et la possibilité de reprendre sa puissance, d’autant plus qu’on parle encore de l’évasion des dizaines de combattants du Groupe.

La tactique de cette attaque augure-t-elle du retour de la méthode organisée ?

L’attaque a été menée avec une nouvelle méthode différente de la tactique de Daech après sa chute, en particulier après la bataille de Baghouz au printemps 2019, qui a été menée avec une nouvelle stratégie connue sous le nom de « Loup solitaire », qui repose sur une attaque surprise dans le but d’infliger des pertes et de saisir des armes, et non de s’emparer du territoire.
L’attaque a été préparée six mois durant en faisant des simulations avec la participation de 200 combattants. Certains combattants ont escaladé des bâtiments de la ville puis pénétré à l’intérieur avant d’atteindre les zones voisines, telles qu’Al-Ghwairan et Al-Zohour. Ils ont pris d’assaut les maisons des civils et tué certains d’entre eux pour intimider la population et laisse croire les gens de leur contrôle sur les zones géographiques, tout en appliquant les tactiques de guerre psychologique qui veillent à affaiblir le moral de leurs ennemies pendant les combats.

D’autres combattants de Daech ont attaqué les avant-postes des forces de sécurité de la prison. Cela a coïncidé avec une attaque à une voiture piégée contre les murs de la prison. Des prisonniers ont participé également aux combats à l’intérieur de la prison, ce qui signifie que la coordination était à haut un niveau entre les assaillants et les prisonniers avec une organisation hiérarchique disciplinée en termes militaire et tactique, mais également avec des groupes de soutien hors l’Organisation et des cellules dormantes qui ont permis à l’Organisation de résister et de se battre pendant environ 6 jours consécutifs.
Attaquer les prisons fait partie de l’ancienne tactique, à l’image de à ce que Daech a fait en 2013 contre les prisons de Taji et d’Abou Ghraib, grâce auxquelles l’Organisation a pu faire évader plus de 500 éléments de l’Organisation, qui l’ont ensuite aidé à constituer l’Organisation et ses capacités et établir son État dans les régions d’Irak et de Syrie.

Les capacités des FDS remises en cause

La récente attaque, au cours de laquelle des dizaines de personnes ont été tuées, a remis en cause les capacités des forces kurdes qui gèrent les régions du nord de l’est de la Syrie, l’allié local des Forces démocratiques syriennes « SDF » quant à la possibilité de leur résistance face à une nouvelle attaque soudaine, et leur capacité de protéger les prisons qui comptent 12.000 terroristes d’environ 50 nationalités. D’autant plus que le rétablissement du contrôle sécuritaire n’est intervenu qu’après six jours de combats et pourrait être difficile sans l’aide et la participation de près de 200 soldats des forces américaines, qui ont utilisé des hélicoptères, des frappes aériennes et des véhicules blindés. Suite de quoi, la confiance de la communauté locale et internationale peut décliner en raison de la faille sécuritaire subie par les forces sur place mais aussi la capacité de l’Organisation à s’adapter face aux défis des changements en Syrie et en Irak, à se repositionner et à reconstituer ses capacités.

Facteurs d’un retour possible

Les événements confirment que l’Organisation, que beaucoup croyaient disparue, est revenue après s’être restructurée, et est capable de lancer des attaques organisées, et que les cellules dormantes réapparaissent. Cela est dû à de nombreux facteurs:

Les questions subsistant non traitées

Dans la région sous contrôle kurde du nord-est de la Syrie, plus de 11.000 femmes et enfants étrangers, dont au moins 7.000 enfants de moins de 12 ans, qui sont des familles de combattants de Daech ou associés à l’Organisation, sont toujours détenus dans des conditions épouvantables et parfois mortelles dans un camp saharien fermé.

Selon Human Rights Watch, lors de ses trois visites de juin 2019 dans des camps de détention, des femmes et des enfants buvaient de l’eau sale et leurs tentes étaient déchirées et vivent au milieu de tas d’ordures. En dépit que les Etats-Unis et la Coalition avaient promis d’améliorer les conditions de détention et d’aider les Kurdes dans cette mission. Ces conditions de détention et ces camps sont censés être temporaires. Toutefois, cela ne s’est pas produit, car tous les pays ont refusé d’accueillir ou de rapatrier leurs citoyens qui ont rejoint Daech.

Ces camps et zones de détention peuvent devenir un environnement incubateur pour l’extrémisme à cause du manque de capacités et de la faiblesse des programmes d’éducation et de développement et de la possibilité de leur intégration dans la société. La preuve en est, la dernière bataille de prison. Malgré les fonds et les efforts fournis par la coalition, ils n’ont pas résolu les problèmes humanitaires et de sécurité dans la région.

Daech encaisse des centaines de millions par mois grâce aux redevances

Malgré les efforts internationaux et locaux pour tarir les sources de financement de l’Organisation, cette dernière a trouvé de nouveaux moyens pour obtenir des financements pour qu’elle puisse se déplacer et se renforcer, en imposant des redevances aux investisseurs dans les champs pétrolifères des régions du nord-est de la Syrie et aux commerçants en Irak.
L’Organisation encaisse environ 40 millions de dollars par an, en tant que revenu de base. Ce montant suffit pour raviver ses éléments et maintenir sa stratégie de continuation.

Dans ce cadre, l’expert en mouvements radicaux, Hassan Abu Haniyeh a déclare : « personne ne peut passer par Anbar ou Salah al-Din, sans payer une redevance, et tous ceux qui possèdent une usine ou même une petite boutique, ont peur de prendre des risques. Si la redevance n’est pas payée, les combattants de Daech brûlent sa propriété tout en annonçant clairement qu’ils appartiennent à l’Organisation. Ils demandent un montant par mois ou un pourcentage spécifique des bénéfices (de 10 à 20 %), en échange de la protection. L’Organisation faisait la même chose sous le nom de « zakat » lors de son contrôle de ces territoires.

Une idéologie qui attire encore des adeptes

L’idéologie djihadiste et ses histoires complexes continuent de contribuer à la popularité de Daech auprès des jeunes, car certains pensent que l’Organisation offre une nouvelle vie aux individus pauvres, aux expatriés et aux jeunes vivant dans des zones de conflit, d’appauvrissement et d’injustice que leur infligent les régimes au pouvoir. La corruption des dirigeants et responsables a attisé également la colère de classe défavorisée. D’où la question, comment peut-on trouvé dans une région de conflit des responsables s’enrichissent alors que la population s’appauvrit davantage ?

Dans cette région, les jeunes fuient vers la (Cité idéale du Califat) et la promesse de l’au-delà, pour rejoindre l’Organisation pour se venger des responsables et dirigeants qui représentent selon eux la partie infidèle « mécréante ».

En se basant de ce qui précède, il est clair que l’assaut contre la prison se veut un avertissement à la communauté internationale et locale, selon lequel Daech serait en mesure de revenir sous multiples formes qui l’aident à continuer malgré toutes les mesures pour y faire face.

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