L’avenir de la France en Afrique : Quel chemin suivre ?

Août 1, 2024 | Afrique, économie, Europe, France, Les rapports, politique

En seulement deux ans, l’armée française a dû se retirer de la Centrafrique et de plusieurs pays de la bande sahélo-saharienne, mettant fin à l’opération Barkhane.

Malgré un sentiment croissant de rejet envers la France en Afrique, Paris souhaite maintenir une présence militaire sur le continent, lit-on sur le portail de l’intelligence économique.

Relations franco-africaines : Un nouveau chapitre

Entre l’été 2022 et décembre 2023, la France a été contrainte de quitter le Mali, le Burkina Faso et enfin le Niger, des pays du Sahel où elle était présente depuis 2014 dans le cadre de l’opération Barkhane. Déjà à la fin de 2022, peu après le départ des forces françaises du sol malien, les derniers militaires français en République centrafricaine avaient quitté Bangui, poussés par les miliciens de Wagner.

En Afrique de l’Ouest, l’hostilité populaire envers la politique française a progressivement pris racine, jusqu’à ce que l’ancienne puissance coloniale soit accusée de tous les maux de la région. Malgré ce rejet généralisé et la perte croissante d’influence, la France maintient encore plusieurs bases sur le continent, abritant des milliers de soldats. Confrontées à ce qui semble être la fin d’un cycle dans leurs relations avec les États africains, les autorités françaises prévoient de réduire significativement les effectifs militaires dans ces bases. Plus largement, elles font face à un défi majeur : repenser leur stratégie en Afrique.

Bilan de la présence militaire française en Afrique

Depuis l’indépendance de sa dernière colonie africaine, Djibouti, le 27 juin 1977, la France a mené des interventions militaires quasi continues sur le continent, souvent justifiées par la protection des populations civiles ou l’application d’accords de défense. Cependant, avec la fin de l’opération Barkhane et le retrait des troupes françaises du Niger à la fin de l’année 2023, survenu quelques mois après le coup d’État du 26 juillet 2023 mené par Abdourahamane Tchiani contre le président Bazoum, il ne reste plus que cinq bases militaires françaises en Afrique. Actuellement, 4 150 soldats français sont déployés à travers le Tchad, le Sénégal, le Gabon, la Côte d’Ivoire et Djibouti.

L’Afrique : Un territoire stratégique pour la France

Selon le professeur Tony Chafer de l’université de Portsmouth, cité par BBC Afrique, l’importance de l’Afrique pour la France est indéniable : « L’Afrique reste cruciale pour la France, et son engagement sur le continent s’inscrit dans le cadre de la projection de la puissance française à l’étranger. » Ce lien est en partie historique, découlant de la centralité de l’Afrique dans l’empire colonial français et de la nature particulière de la décolonisation en Afrique subsaharienne, qui visait à permettre à la France de maintenir son influence en Afrique occidentale et centrale – sa sphère d’influence traditionnelle, comme l’ont noté certains observateurs.

Tony Chafer souligne également que « la présence militaire permanente et l’interventionnisme militaire en Afrique font partie d’un réseau dense de relations que la France entretient avec la région depuis les indépendances. Cela inclut la présence de nombreux Français et binationaux en Afrique, une diplomatie active, et la zone Franc. »

Outre ses intérêts stratégiques et politiques, la France a des intérêts économiques importants à préserver en Afrique. Elle doit rester un partenaire commercial de premier plan face à d’autres États ambitieux qui cherchent à investir dans des secteurs clés tels que les services financiers, l’énergie, les infrastructures, les télécommunications, l’agro-industrie et le BTP.

Le volet culturel joue également un rôle essentiel, la francophonie étant un pilier du soft power français en Afrique. Selon des chiffres rapportés par TRT Français, « 60 % des francophones résident sur le continent africain, une augmentation de 15 % depuis 2018 due à la croissance démographique. » La francophonie revêt une importance cruciale sur le plan diplomatique et économique. Plus les pays francophones sont nombreux, plus les alliances sont possibles, et enseigner et pratiquer le français est essentiel pour l’influence de la France. L’espace francophone représente un marché croissant avec plus de 320 millions de locuteurs aujourd’hui et 750 millions d’ici 2050. Le français est la troisième langue des affaires et la quatrième sur internet.

Enfin, dans un contexte mondial de plus en plus multipolaire et concurrentiel, maintenir une présence militaire en Afrique est un enjeu géopolitique majeur pour la France. Cette présence et les relations bilatérales étroites avec certains pays clés sont essentielles pour que la France conserve sa position d’acteur clé sur le continent. Tony Chafer affirme que « cette présence joue un rôle crucial pour justifier le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l‘ONU, en tant qu’acteur incontournable dans les discussions sur la sécurité en Afrique occidentale et centrale. »

Un déclin progressif et inexorable de l’influence française en Afrique

Depuis trois ans, la France est plongée dans une série de bouleversements dans la région sahélo-saharienne, sans parvenir à se défaire de l’hostilité croissante qui l’entoure. Expulsée de ce qu’elle considérait autrefois comme son « pré-carré » après les coups d’État au Mali en 2021, au Burkina Faso en 2022 et enfin au Niger en 2023, la France fait face à un rejet local profond.

L’ancienne puissance coloniale est critiquée pour avoir continuellement manipulé les régimes africains, maintenu de nombreux pays sous sa tutelle économique via le franc CFA, et échoué à stopper la menace djihadiste malgré l’opération Barkhane. Cette dernière est largement perçue par les opinions sahéliennes comme une nouvelle forme d’ingérence néocoloniale. Pourtant, Barkhane avait été lancée en 2014 à la suite de l’opération Serval, unanimement saluée pour son efficacité. Barkhane, une force très conventionnelle, s’inscrivait dans la continuité des déploiements militaires français depuis les indépendances africaines. Toutefois, son expansion d’une mission centrée sur le Mali à une opération transnationale couvrant cinq pays du Sahel a été mal comprise par les populations locales.

Pour Antoine Glaser, journaliste et spécialiste de l’Afrique, la présence militaire française dans cette zone est depuis longtemps anachronique. « La France se croyait encore à l’époque de la guerre froide, où elle jouait le rôle de gendarme en Afrique. Elle n’a pas perçu la mondialisation de l’Afrique et a continué à agir comme si elle était chez elle. » Selon lui, 2011 marque un tournant : le « gendarme de l’Afrique » détenait encore une influence déterminante aux Nations unies avec le secrétariat général adjoint aux opérations de maintien de la paix. Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, deux interventions majeures ont eu lieu cette année-là : en Libye, entraînant la mort du colonel Kadhafi, et en Côte d’Ivoire, avec l’éviction de Laurent Gbagbo par les forces françaises de l’opération Licorne. Ces actions ont laissé des traces profondes dans les consciences politiques africaines.

Si Glaser offre des clés de compréhension de cette perte d’influence, elle s’explique en réalité par de multiples facteurs, notamment l’affaiblissement du Conseil de sécurité des Nations unies, reflet de l’évolution de l’ordre international et du rééquilibrage des rapports de force. Bien que le statut de membre permanent de la France au Conseil de sécurité ne soit pas remis en question, l’importance de cet organe a considérablement diminué au fil des ans. Jadis arbitre de la plupart des conflits, le Conseil de sécurité est de plus en plus éloigné des affaires internationales en raison de la multipolarité actuelle et de l’émergence de nombreuses puissances moyennes. Ainsi, des conflits récents comme la seconde guerre du Haut-Karabagh ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie illustrent l’éloignement de ces événements de toute résolution du Conseil de sécurité.

La déchéance de la puissance militaire française

L’affaiblissement de la puissance militaire française est un facteur clé de la perte d’influence de la France en Afrique. Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions de défense et auteur de Sommes-nous prêts pour la guerre ?, compare l’armée française à une armée américaine en « version bonsaï » ou « échantillonnaire » : elle maîtrise toutes les compétences, mais en quantité limitée et pour une durée restreinte. En termes de munitions, d’effectifs et de capacités industrielles, la puissance militaire de la France a souffert de la réduction continue des crédits de défense après la dissolution de l’URSS. Selon Merchet, « notre modèle d’armée, qualifié d’expéditionnaire – transformé au fil des ans pour mener des opérations au Proche-Orient ou en Afrique –, n’est plus capable d’endurer des guerres de haute intensité ou d’engagement majeur ».

L’utilisation de la force militaire comme levier d’influence politique s’est également réduite dans un monde en profonde mutation, où les conflits sont de plus en plus marqués par des opérations d’information et d’influence plutôt que par des actions militaires classiques. Depuis les indépendances africaines, l’armée française a joué un rôle majeur en préservant les intérêts politiques de la France. Les bases militaires françaises, par leur simple présence, garantissaient une influence diplomatique significative, agissant comme des supports aux régimes en place ou comme forces de contre-insurrection. Toutefois, comme l’ont montré les récents coups d’État en Afrique de l’Ouest, la seule présence militaire ne suffit pas à contrer les offensives informationnelles et autres manœuvres non cinétiques. Les interventions militaires, autrefois fréquentes durant la Françafrique, sont aujourd’hui presque impossibles à réaliser sans être perçues comme des actes de néocolonialisme.

Ainsi, si l’armée française, malgré sa supériorité numérique et matérielle, hésite à agir par crainte des conséquences en termes d’image, elle devient inefficace. C’est précisément ce qui s’est produit au Burkina Faso, au Mali, et au Niger, où les soldats français ont été contraints de quitter le pays. Les autorités locales ont dû faire face à des pressions internes et externes, notamment des accusations de vassalisation par Paris, rendant presque impossible la présence militaire française. Cette situation met en évidence les limites de l’influence militaire dans un contexte où les aspects politiques et médiatiques dominent souvent l’action armée.

Un ensemble de facteurs défavorables aux conséquences néfastes

Malgré l’affaiblissement du rôle du Conseil de sécurité et celui de sa propre puissance militaire, la France comptait encore sur son influence en Afrique pour légitimer son statut de grande puissance. Cependant, les récents coups d’État au Sahel, les tensions diplomatiques avec les pays du Maghreb, et la perte de présence économique des entreprises françaises en Afrique de l’Ouest au profit de la Chine, de la Turquie et du Maroc ont considérablement réduit le prestige français sur le continent. La montée de l’anglais au détriment du français, comme le montre l’adhésion du Gabon au Commonwealth, souligne également le déclin de l’influence culturelle française en Afrique.

La réforme du ministère des Affaires étrangères, qui a vu des diplomates expérimentés remplacés par d’autres acteurs de la société civile, a sans doute accéléré ce déclin. Une autre clé de compréhension réside dans la personnalité d’Emmanuel Macron. Comme Nicolas Sarkozy avant lui, dont le discours de Dakar en 2007 avait terni l’image de la France en Afrique, Macron a commis plusieurs maladresses, vexant certains dirigeants du continent. Cela inclut une bévue mémorable lors d’une visite à Ouagadougou en 2017 et une erreur en 2021 lors du sommet Afrique-France de Montpellier, organisé avec des représentants de la société civile au détriment des chefs d’État africains. Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales, estime que « les choix et le style présidentiels n’ont fait qu’accélérer un mouvement de fond historique, qui voit le continent africain prendre ses distances avec la France et l’Europe en général, au profit de nouveaux partenaires comme la Chine, la Russie ou la Turquie ».

Portant l’histoire coloniale comme un fardeau et assumant difficilement la période de la « Françafrique », les autorités françaises apparaissent aujourd’hui fragilisées. Elles sont tiraillées entre la tentation de préserver une puissance passée et la difficulté de comprendre ces sociétés africaines en mutation, influencées par de nouvelles élites en manque de légitimité, pour qui la France représente un parfait bouc émissaire.
La France est décriée comme une prédatrice économique par une nouvelle génération et comme porteuse de valeurs occidentales détestées par des groupes islamiques orthodoxes et radicaux. Ces derniers ne sont pas nécessairement djihadistes, mais ils rejettent le modèle politique et social en vigueur depuis les indépendances, se nourrissant des faiblesses, des faillites économiques et des compromissions des États dans lesquels ils évoluent.

Perspectives pour la présence militaire française en Afrique

Le 2 février 2024, Jean-Marie Bockel a été nommé par l’Élysée comme « envoyé personnel » d’Emmanuel Macron pour « refonder » les relations entre la France et les pays africains où des bases militaires françaises sont encore présentes (à l’exception de Djibouti). Chargé de redéfinir le format et les modalités d’action du futur dispositif militaire français, Bockel, ancien secrétaire d’État à la Coopération sous Nicolas Sarkozy (2007-2008), est missionné à la suite des putschs qui ont secoué la bande sahélo-saharienne.
Lors de sa première visite à la fin de février, Bockel s’est rendu en Côte d’Ivoire, où environ 900 militaires français sont stationnés au sein du 43e Bataillon d’infanterie de marine. À cette occasion, il a déclaré : « On ne veut pas réduire nos efforts mais c’est une globalité : il y aura des évolutions, l’empreinte sera moindre sur certains aspects et plus forte sur d’autres. » Sans donner de détails, il a confirmé une tendance à la baisse des effectifs français.

En février 2023, le président Macron avait déjà annoncé une « diminution visible » à venir du nombre de soldats français en Afrique et un « nouveau modèle de partenariat » visant une « montée en puissance » des institutions militaires africaines. Macron avait précisé : « La logique, c’est que notre modèle ne doit plus être celui de bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui. » Il envisageait une présence française au sein de bases, d’écoles et d’académies cogérées avec des effectifs français réduits et une augmentation des effectifs africains, ainsi que la possibilité d’accueillir d’autres partenaires. Macron avait ajouté : « La transformation débutera dans les prochains mois avec une diminution visible de nos effectifs et une montée en puissance dans ces bases de nos partenaires africains. »

Bien que cette « diminution visible » tarde à se concrétiser, notamment à Dakar ou Libreville, elle pourrait devenir réalité à court terme. Philippe Chapleau, écrivain et journaliste spécialisé dans les questions de défense, souligne que plus que les chiffres, « ce sont les ambitions militaires françaises en Afrique qui mériteraient d’abord d’être précisées. S’agit-il de simplement faire des économies budgétaires en réduisant la force permanente ? Ou de poursuivre un retrait ordonné et éviter les désagréments connus au Sahel ? De bâtir un réseau de forces et de moyens prépositionnés (comme le font les Américains avec leurs CSL [Cooperative Security Locations, ndlr]) ? S’agit-il d’admettre que d’autres acteurs ont acquis une place au détriment de la France et que celle-ci se replie inexorablement ? »

Bases franco-américaines ? Retrait total des Français ? Ou véritable accompagnement ?
Des réflexions sont en cours pour que Paris réduise sa présence tout en conservant sa capacité d’action en Afrique. Le général Thierry Burkhard a évoqué à l’Assemblée nationale, le 31 janvier dernier, la possibilité de créer des bases franco-américaines. « Mutualiser les bases est souhaitable si nous voulons réduire notre visibilité tout en conservant le minimum d’empreinte nécessaire pour maintenir ouverts nos accès », a soutenu le chef d’état-major des armées. « Notre dispositif militaire historique […] était efficace et envié », a-t-il rappelé, mais « dans le double contexte d’instabilité et d’affirmation des souverainetés, il produit, notamment dans le champ des perceptions, des effets négatifs qui finissent par peser plus lourd que les effets positifs ». Néanmoins, selon l’hebdomadaire Le Point, Français et Américains n’ont pas encore ouvert de discussion formelle à l’échelon politique.

Certains experts vont plus loin, estimant que la présence militaire française en Afrique est devenue contre-productive. « La seule conclusion raisonnable à tirer pour la France est de fermer ses bases », tranche Michael Shurkin, directeur des programmes chez 14 North Strategies, un cabinet de conseil spécialisé dans les affaires africaines. Selon lui, un retrait des troupes françaises d’Afrique permettrait à la France de se concentrer sur ses priorités en Europe et dans l’Indopacifique, préparant ainsi son armée à des conflits de haute intensité.

Un retrait intégral de la présence militaire française en Afrique apparaît toutefois peu vraisemblable. La France doit préserver une marge de manœuvre certaine, notamment celle d’entrer en premier sur un théâtre qui s’ouvrirait en Afrique. Elle doit également résister à l’opportunisme des Russes, le Kremlin attisant le sentiment anti-français via le groupe Wagner, ses mercenaires, ses faux médias et ses influenceurs sur les réseaux. La Russie, basant sa conquête des pays africains sur un rejet de l’Occident, est un concurrent direct de la France. Cependant, elle se pose uniquement en pourvoyeur de sécurité, n’ayant d’autre objectif que l’exploitation des ressources. Paris doit-il attendre que l’effet de mode russe s’estompe ? « Sur le plan économique, la Russie n’a rien à proposer » et « même si l’attractivité de la France a un peu baissé, cela ne durera pas longtemps », estime l’analyste politique russe Konstantin Kalatchev.

Un axe d’effort pour stopper l’hémorragie de l’influence française en Afrique pourrait être de mettre en place un partenariat fondé sur la formation et l’accompagnement des soldats africains, renforçant ainsi les académies militaires nationales. L’idée serait de réduire l’impact symbolique de la présence française tout en proposant une véritable offre d’accompagnement.

Mots clés :#Sahel | Afrique | france
Share This